Érythrée : la Corée du Nord de l’Afrique

Érythrée : la Corée du Nord de l’Afrique

L'Érythrée a fêté ses 30 ans le 24 mai. Des célébrations qui sonnent comme le douloureux rappel des années perdues et un « appel à agir », confie Vanessa Tsehaye, une militante des droits de l'homme suédo-érythréenne. Souvent qualifié de « Corée du Nord de l'Afrique », ce pays est dirigé d'une main de fer par Issayas Afeworki, premier et seul chef de l'État depuis 1993. Toute information y demeure quasiment inaccessible et aucune donnée officielle ne filtre de ce huis clos, jusqu'au nombre d'habitants, qui se trouveraient entre 3 et 6 millions.

Les votes aux Nations unies sur la guerre en Ukraine représentent un bon indicateur des positions de l'Érythrée. Lorsqu'un texte est proposé au vote pour que la Russie « cesse immédiatement de recourir à la force contre l'Ukraine », le 23 février dernier, 141 pays membres y sont favorables. Seuls six pays se distinguent en apportant leur soutien à Moscou : la Corée du Nord, la Biélorussie, la Syrie, le Nicaragua, le Mali… et l'Érythrée d'Issayas Afeworki.

Le président érythréen, officieusement au pouvoir depuis 1991, a dès le départ installé un régime autoritaire. Il n'a, pour cela, pas hésité à se débarrasser de tous ses concurrents, jusqu'à faire exécuter son propre frère de sang. En 1993, l'ONU et l'Union africaine reconnaissent l'indépendance de l'Érythrée. Les espoirs de démocratie auxquels s'accrochaient les Érythréens vont rapidement être déçus. Les élections n'auront jamais lieu et un régime de parti unique s'impose.

Un an après, le dictateur, admirateur de Mao, fonde un nouveau mouvement politique : le Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ). Le pays se dirige dès lors vers le totalitarisme, contrairement à ce que les idéaux de liberté et de justice suggèrent. Au pouvoir, Afeworki rompt avec les ambitions du FPLE (Front populaire de liberté de l'Érythrée), le parti de libération, qui s'était largement inspiré du FLN algérien.

Guerre contre l'Éthiopie

La guerre contre l'Éthiopie, déclarée par Issayas Afeworki en 1998, a ensuite plongé de nombreux Érythréens dans le désarroi. « Ils ont dansé pour l'indépendance puis ont été sacrifiés pour une guerre qui n'avait aucun sens », explique Meron Estefanos, journaliste d'origine érythréenne qui vit en exil en Suède. Au contraire, la dérive s'est accentuée.

Cela a provoqué, en 2001, la formation du G15, un groupe de 15 anciens compagnons de route du chef de l'État. Dans une pétition, ces dissidents réclament des élections ainsi que l'application d'une constitution. Leurs demandes ne sont pas entendues et onze d'entre eux sont directement emprisonnés. Depuis ce jour, leur sort est toujours inconnu. La même année, des étudiants suivent le modèle du G15. En guise de réponse, l'université ferme ses portes et, dès 18 ans, les Érythréens sont envoyés dans des camps de travail forcé.

À partir de ce tournant de 2001, tout espoir de démocratie est effacé. Dans cette « prison à ciel ouvert » qu'est devenu ce petit pays de la Corne de l'Afrique, la répression et les détentions arbitraires n'ont jamais cessé. À ce jour, il n'existe aucune information concernant le nombre de prisonniers politiques détenus dans le pays.

Issayas Afeworki « ne se soucie absolument pas de son peuple, et tous ceux qui ne sont pas de son avis sont des traîtres », explique Alain Gascon, professeur à l'université de Paris-VIII et spécialiste de l'Érythrée. En 2013, des membres de l'armée ont tenté un coup d'État au Forto, l'ancien fort colonial italien où se trouvent la radiotélévision d'État et le ministère de l'Information. Ils réclamaient notamment l'application d'une constitution et la libération des prisonniers politiques. Mais le putsch a échoué.

Cet épisode conduit le chef d'État à se constituer une garde prétorienne, composée principalement de réfugiés originaires de la région éthiopienne du Tigré. Cette milice présidentielle est réputée pour sa violence, ses pillages, ses exécutions sommaires et ses viols. « Ces méthodes sont la base de la répression en Érythrée, explique le spécialiste. On n'a jamais connu, du moins dans cette partie de l'Afrique, un régime aussi brutal, aussi sanguinaire, aussi peu soucieux de la vie humaine. » L'Érythrée, classée 176 sur 191 à l'indice du développement humain en 2021 par l'ONU, serait ainsi « un des régimes les plus horribles qui puisse exister à la surface de la Terre », d'après Alain Gascon.