Comment la Russie reprend la main en Ukraine

Comment la Russie reprend la main en Ukraine

Après une série de défaites tactiques, l'armée russe est en train de faire quelques progrès dans sa campagne visant à capturer la région du Donbass, dans l'est de l'Ukraine, théâtre des combats les plus meurtriers de la guerre. Ses troupes se sont emparées de presque toute la partie nord de la région, l'oblast de Lougansk, et ont quasiment encerclé la ville de Sievierodonetsk. En face, les troupes ukrainiennes sont épuisées et déplorent entre 100 et 200 morts par jour. C'est tout aussi vrai pour les troupes russes, mais les Ukrainiens sont en passe d'être à court de munitions.

Voilà ce qui se passe en ce moment, près de quatre mois après le début de l'invasion, et ce parce que, pour la première fois, les Russes se livrent à la forme de guerre à laquelle ils ont été formés –un style de combat brutal dont la stratégie consiste à écraser l'ennemi sous des tapis de bombes, de missiles, d'artillerie et autres armes puissantes. Comme le dit Michael Kofman, directeur des études russes au Center for Naval Analyses, un groupe de recherches basé en Virginie, les guerres d'usure ont toujours été la spécialité de l'armée russe et maintenant qu'elle en mène une, elle a un avantage.

Manque d'expérience et d'initiative

Il y a trois causes à ce désastre. Tout d'abord, les Ukrainiens se sont battus plus vaillamment que prévu. Ensuite, ils l'ont fait en bénéficiant d'un soutien de la part de l'Occident bien plus important que quiconque n'aurait pu s'y attendre en matière d'armement, de renseignement mais aussi d'un point de vue politique et économique. Enfin, et c'est ce qui est le plus pertinent dans ce contexte, cette stratégie a exposé et exacerbé les faiblesses les plus chroniques de l'armée russe.

Si l'invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine a commencé de façon désastreuse, c'est en grande partie parce que c'était une première pour l'armée russe: une offensive ambitieuse le long de trois axes (depuis le nord, l'est et le sud du pays) impliquant des forces aériennes, maritimes et terrestres, avec pour objectif de soumettre Kiev rapidement et d'installer un nouveau dirigeant plus docile vis-à-vis des politiques de Moscou.

L'armée de Poutine avait peu l'expérience d'opérations simultanées impliquant plusieurs branches des forces armées, or, sa campagne dépendait d'assauts coordonnés. Sa logistique a toujours beaucoup laissé à désirer, or, une invasion demande de maintenir et de défendre des chaînes de ravitaillement extrêmement longues. Ses officiers subalternes n'ont jamais appris à prendre d'initiatives. En cas de problème ils ne savent donc pas comment s'adapter. C'est une des raisons expliquant que douze généraux russes ont été tués dans cette guerre: on les a expédiés de toute urgence au front pour en prendre les commandes et une fois arrivés, ils sont devenus des cibles évidentes.

C'est ainsi que l'offensive a échoué. Les Ukrainiens ont tendu des embuscades aux caravanes de blindés russes, coupé leurs lignes de ravitaillement et laissé les forces russes sans nourriture, carburant, munitions ou commandement efficace.

Le vent tourne en faveur des Russes

Les Russes auraient-ils pu changer de tactique et accentuer leurs tirs d'artillerie au moment où ils tentaient de s'emparer de Kiev? Non. Premièrement, la plupart des combats ont eu lieu à portée réduite, l'artillerie aurait donc pu tuer autant de Russes que d'Ukrainiens probablement davantage d'ailleurs, car les Russes avaient tendance à être à découvert.

Deuxièmement, les roquettes ont une portée de dizaines de kilomètres, pas de centaines ou de milliers: les Russes auraient dû les transporter jusque dans l'Ukraine profonde, et elles aussi auraient été détruites ou confisquées avec la nourriture, le carburant et les munitions. Au départ, le plan de bataille russe ne faisait qu'accentuer leurs faiblesses et ne laissait pas de place à leurs points forts.

Toutefois, depuis que les Russes se sont retirés de la zone autour de Kiev (pour l'instant en tout cas) et se sont déplacés vers l'est, le vent a tourné en leur faveur. Cela fait huit ans que la guerre pour le Donbass fait rage, et il y a bien longtemps que des lignes de démarcation ont été tracées entre la moitié ouest de la région, dominée par l'armée ukrainienne, et la moitié est, dominée par des milices séparatistes soutenues par la Russie.

Cela fait un mois à peu près que les troupes russes –certaines redéployées depuis d'autres régions d'Ukraine, d'autres expédiées depuis des bases militaires en Russie– viennent renforcer les positions des séparatistes. Parce qu'elles étaient plus proches du territoire russe, les lignes de ravitaillement sont bien plus courtes et donc moins vulnérables. Enfin, la plus grande partie du terrain est plate, les Ukrainiens ont donc plus de difficultés à s'y cacher et à tendre des embuscades.