Diplomatie : l’ambassadeur est de plus en plus un agent économique

Diplomatie : l’ambassadeur est de plus en plus un agent économique

Alors que le coup d’envoi n’a pas encore été donné, l’ambassadrice de France au Bangladesh, stylo en main, ordinateur ouvert sur la table en bois clair, est déjà en plein rendez-vous officieux. L’homme qui lui fait face se hâte de lui demander des conseils avant qu’un son strident ne coupe la conversation. Une voix résonne dans la salle : tous les participants doivent rejoindre les tables auxquelles ils ont été assignés.

Sous la verrière du Centre de conférence ministériel à Paris s’est tenu, mardi 25 août, le premier « speed-dating » entre 169 ambassadeurs et 457 entrepreneurs soigneusement sélectionnés, à l’occasion de la semaine des ambassadeurs organisée chaque année par le Quai d’Orsay.

Lors du discours d’ouverture de ce « speed dating » inédit, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, à l’origine de l’initiative, a expliqué : « L’ambassadeur est là, notamment, pour être au service des entreprises (…). quand je dis les ambassadeurs, c’est l’ensemble des services parce que, encore une fois, nous sommes au service de l’économie française ».

Si la mission économique était déjà inhérente à la fonction d’ambassadeur, au titre du développement des relations bilatérales et de la protection des intérêts de l’Etat, elle est devenue aujourd’hui prédominante. L’ambassadeur de France en Iran depuis 2011, Bruno Foucher, n’a « pas découvert la fonction économique l’année dernière, dit-il. Aujourd’hui, elle prend une importance particulière. Il y a quelques années, il y avait des ambassadeurs économiques car ils aimaient ça. Moi, c’était déjà mon choix. » Un autre ambassadeur, en poste dans l’est de l’Europe cette fois, reconnaît qu’« il y a un changement dans le statut de l’ambassadeur, sous l’impulsion de Laurent Fabius. Dès qu’il est arrivé, il l’a érigé comme priorité. Les jeunes ambassadeurs s’y sont mis tout de suite parce que c’était naturel et je crois que maintenant, tout le monde a le réflexe économique. »

« Accéder aux officiels »

Cette évolution n’est pas pour déplaire aux entrepreneurs présents. Ils sont ravis et surpris par la démarche : « C’est un événement formidable, affirme le président du directoire d’une entreprise de piscines. Les dossiers sont préparés, ils ont des réponses à nous apporter. Je ne connaissais pas ce rôle de l’ambassadeur-facilitateur mais je trouve ça bien ».

Le jeune représentant d’une entreprise d’audit d’infrastructures mortuaires reconnaît qu’il y a encore deux ans, il ne percevait l’ambassadeur que dans ses aspects politiques. Aujourd’hui, alors qu’il aspire à s’implanter en Afrique, il est conscient de la prépondérance du rôle économique des représentants français : « L’ambassadeur aide à accéder aux officiels ».

Par ses contacts, le diplomate tend à faciliter les démarches des entreprises pour s’implanter dans à l’étranger. Un ambassadeur, par son statut de représentant de l’Etat, « a accès à tout le monde », assure François Zimeray, en poste à Copenhague : « On est des introducteurs. On fait en sorte que la prise de risque soit limitée, de soutenir les entreprises dans des environnements difficiles : dans des pays où il y a de la corruption, un Etat de droit pas consolidé, où les juridictions commerciales ne sont pas au point. »

Désormais, le volet économique occupe généralement entre la moitié et les deux tiers du temps des chefs de mission français. « Au fur et à mesure que l’économie de la France s’est dégradée, contractée (…), le rôle de l’ambassadeur sur le plan économique s’est renforcé », explique Sophie Aubert, ambassadrice au Bangladesh. Mais une question reste en suspens : comment concilier la mission de représentation de la France, de ses valeurs humanistes et une collaboration économique étroite avec des régimes autoritaires ? Entre les impératifs économiques et les valeurs démocratiques, « on fait un peu le grand écart », reconnaît un ambassadeur français dans un Etat connu pour ses atteintes régulières aux droits de l’Homme.