Présidentielles en Gambie: l'opposant Barrow met fin au pouvoir de Jammeh

Présidentielles en Gambie: l'opposant Barrow met fin au pouvoir de Jammeh

La Gambie célébrait vendredi 2 décembre la fin de 22 ans de pouvoir du président Yahya Jammeh. Ce dernier a été battu par le candidat de l'opposition, Adama Barrow, lors de l'élection présidentielle avec 45,54 % des voix, selon les résultats officiels. Plus tôt, le président gambien Yahya Jammeh, qui dirigeait son pays d'une main de fer, avait reconnu sa défaite, a affirmé vendredi la commission électorale, une annonce qui a créé la surprise. « Il est vraiment exceptionnel que quelqu'un qui a dirigé le pays aussi longtemps ait accepté sa défaite », avait déclaré le président de la commission électorale, Alieu Momar Njie, aux journalistes.

Après l'annonce officielle des résultats, Yahya Jammeh a reconnu sa défaite lors d'une allocution télévisée et a félicité son adversaire, lui souhaitant bon vent. « Vous, Gambiens, avez décidé que je devais être en retrait, vous avez voté pour quelqu'un pour diriger le pays, c'est notre pays, et je vous souhaite le meilleur », a affirmé M. Jammeh apparaissant en boubou blanc, filmé devant un bureau. Devant la caméra, il a téléphoné à Barrow et lui a dit : « Vous êtes le président élu de Gambie et je vous souhaite le meilleur. » Le vainqueur a salué l'avènement d'« une nouvelle Gambie ».

Manifestations de joie

Yahya Jammeh, arrivé au pouvoir par un coup d'État en 1994, élu en 1996, puis largement réélu tous les 5 ans depuis, s'était dit certain d'une nouvelle victoire, et ses détracteurs lui prêtaient l'intention de n'accepter aucune autre issue. Il avait prévenu qu'il ne tolérerait aucune contestation des résultats dans la rue, mais exclusivement devant les tribunaux, assurant que la fraude était impossible. Depuis vendredi matin tôt, les forces de sécurité étaient déployées en masse à Banjul, la capitale de ce pays d'Afrique de l'Ouest.

L'annonce de la victoire de Barrow a suscité des manifestations de joie dans les rues de Banjul. Certains parcouraient la ville entassés dans des voitures et klaxonnant à tout-va. Des journalistes ont vu des grappes de jeunes brandissant des portraits de Barrow, d'autres déchirant ou piétinant des banderoles et affiches à l'effigie de Jammeh. Le réseau internet et les communications téléphoniques internationales, qui avaient été coupés depuis mercredi soir afin d'empêcher la diffusion de résultats non officiels, ont été rétablis vendredi.

65 % de participation

Trois candidats participaient à cette élection, tous âgés de 51 ans, étant nés en 1965, année de l'indépendance de cette ex-colonie britannique. Quelque 890 000 électeurs, sur près de 2 millions d'habitants de ce pays enclavé dans le territoire sénégalais, hormis sa façade atlantique, étaient appelés aux urnes jeudi, pour départager les trois candidats. Selon les résultats du scrutin de jeudi publiés par la commission électorale, Yahya Jammeh s'est classé deuxième avec 36,6 % des voix derrière Barrow, crédité de 45,5 % des suffrages. Le troisième et dernier candidat en lice, Mama Kandeh, a eu 17,8 % des voix. La participation avoisinait les 65 %. Dès la fermeture des bureaux de vote a débuté le décompte des billes déposées dans les trois bidons de couleurs différentes – vert pour Jammeh, gris pour Barrow et violet pour Kandeh –, un système de vote unique dans le monde.

Le département d'État américain a salué « une participation manifestement élevée et un climat généralement pacifique » lors du vote, mais s'est inquiété « des pressions et des intimidations » avant le scrutin. La Gambie a également fermé depuis mercredi soir ses frontières terrestres, comme à chaque élection, selon une source de sécurité sénégalaise. Dans une déclaration commune vendredi soir, la Commission économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), l'Union africaine et l'ONU « félicitent le peuple gambien pour l'élection présidentielle pacifique, libre, juste et transparente » de jeudi.

Elles saluent également « Yahya Jammeh pour avoir gracieusement reconnu sa défaite et Adama Barrow pour sa victoire », selon ce texte publié par la Cedeao. Human Rights Watch (HRW) a aussi complimenté « le déroulement du scrutin sans violence ni ingérence politique manifeste », représentant « une victoire pour la démocratie dans un pays qui en a longtemps été privé ».

Selon des analystes et l'opposition, c'était la première fois que le régime, qui a survécu à de nombreuses tentatives de coup d'État, était sérieusement menacé par un scrutin, au terme d'une campagne marquée par l'expression d'un pluralisme inhabituel. Malgré la répression, la parole se libère depuis des manifestations en avril pour réclamer des réformes politiques, puis pour dénoncer la mort en détention d'un opposant et la condamnation en juillet à trois ans de prison d'une trentaine de participants à ces rassemblements, dont le chef de l'opposition, Ousainou Darboe. Les ONG et certaines chancelleries condamnent les violations des droits de l'homme sous Yahya Jammeh, des accusations qu'il rejette. Beaucoup de Gambiens portent néanmoins à son crédit la stabilité du pays et certains progrès, notamment en matière d'éducation et de santé. Mais de nombreux autres fuient la pauvreté et la répression sur les routes de l'émigration clandestine.