GÉRALD TREMBLAY
Le premier magistrat de la métropole francophone d’Amérique du Nord partage la fierté de la capitale d’accueillir le Sommet de la Francophonie. Le rayonnement de Québec est aussi celui de Montréal, une des villes les plus impliquées dans la promotion économique et culturelle de ce patrimoine commun : le français. Le Maire de Montréal est l’invité du Magazine Diplomat investissement.
Magazine Diplomat investissement : Monsieur le Maire, Québec accueille cette année le Sommet de la Francophonie. Quelles sont vos attentes et comment entrevoyez-vous la place de Montréal et du Québec au sein de la Francophonie ?
M. Gérald Tremblay : Je suis très heureux de la tenue à Québec du 12e Sommet de la Francophonie dans le cadre du 400e anniversaire de Québec. Être une ville cosmopolite de langue française dans un espace nord-américain, confère à Montréal une personnalité unique qui lui permet de se distinguer avantageusement des autres villes de même catégorie en Amérique du Nord. Nous savons, pour recevoir très souvent des témoignages en ce sens, que Montréal attire de nombreux visiteurs qui veulent découvrir sa culture et aussi un certain art de vivre qui lui sont propres. Montréal, ville francophone et également ouverte. Montréal accueille chaque année des milliers d’immigrants qui choisissent le Québec comme terre d’adoption. La Ville met tout en œuvre pour faciliter leur intégration au sein de la société montréalaise qui abrite déjà une population provenant d’origines diverses. Les Montréalaises et les Montréalais sont attachés à cette grande diversité. Grâce à un dialogue serein et constructif entre les diverses communautés ethnoculturelles, tous et chacun tirent profit de cette diversité. Ces échanges sont très enrichissants pour la collectivité. Ajoutons que la population montréalaise assiste à chaque année avec beaucoup d’enthousiasme à une multitude de manifestations culturelles qui célèbrent la diversité des expressions culturelles.
À Montréal, la Francophonie est synonyme de créativité. Montréal foisonne de créateurs dont la réputation dépasse nos frontières dans le domaine littéraire, de la poésie, du théâtre, du cinéma, de la télévision, du multimédia, des arts visuels, des arts de la scène et du cirque, du design et de la mode. Notre création porte une signature originale de par notre appartenance inusitée, comme Américains du nord, à l’univers de la latinité. Nous sommes fiers chaque fois qu’un de nos artistes ou une de nos productions artistiques remporte du succès à l’étranger faisant ainsi connaître notre potentiel créatif et donc notre esprit d’innovation et d’ouverture. Montréal, ville francophone de savoir. Montréal s’inscrit clairement dans le réseau des villes de savoir avec ses quatre universités dont deux francophones – l’Université de Montréal et l’Université du Québec à Montréal - auxquelles sont associées des écoles réputées : l’École des hautes études commerciales (HEC Montréal), l’École polytechnique, l’École nationale d’administration publique, l’École de technologie supérieure et l’Institut national de la recherche scientifique. L'interdisciplinarité, la synergie et le décloisonnement souhaités de plus en plus par nos universités et un nombre croissant d’organismes et d’entreprises font de Montréal un haut lieu de la recherche et un centre important de production et de diffusion de connaissances de grande valeur scientifique.
Grâce à la coopération interuniversitaire et à l’accueil à chaque année de milliers d’étudiants étrangers, les universités montréalaises contribuent à la diffusion en français de connaissances de pointe vers d’autres pays de la Francophonie. Montréal, ville francophone et solidaire. Les organisations non gouvernementales (ONG) montréalaises œuvrent en grand nombre dans les pays de la francophonie, pour l’éradication de la pauvreté et pour la construction d’un monde basé sur des principes de justice, d’inclusion, d’égalité et de respect des droits. Les ONG montréalaises jouissent d’un important capital de sympathie partout où elles interviennent grâce, notamment, au dialogue constructif qu’elles ont su établir avec la société civile des pays où elles sont présentes.
La Ville de Montréal est de plus en plus présente dans le domaine de la coopération internationale tout en s’associant avec les ONG pour mener des interventions qui poursuivent la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. C’est dans cette optique que j’accorde beaucoup d’intérêt à la présence de Montréal au sein de réseaux internationaux de villes dont l’AIMF (Association internationale des maires francophones), un des opérateurs de la Francophonie, dont je suis vice-président. Notre participation à l’AIMF nous permet d’établir des nombreuses relations et, surtout, de développer de grandes amitiés avec d’autres villes francophones du monde. En faisant partie d’un tel réseau, nous avons la possibilité d’échanger avec des interlocuteurs qui partagent nos préoccupations pour la promotion du français dans le monde, d’avoir des échanges fructueux sur des problématiques communes (ex. : les infrastructures vieillissantes ou encore la diversification des sources de revenus) et de partager nos expertises dans un esprit de solidarité et de coopération.
La présence de Montréal au sein de l’AIMF prend également tout son sens, étant donné les objectifs poursuivis par la Francophonie sont la paix, la solidarité, le respect des droits, et la promotion de la diversité culturelle. L’adoption par la Ville de Montréal d’une Charte des droits et des responsabilités qui reconnaît, tout à la fois, le caractère francophone de Montréal et la richesse que représente le cosmopolitisme de Montréal va dans le sens de ces grands objectifs.
Quel est le niveau de coopération entre la Ville de Montréal et les villes francophones ?
La coopération municipale internationale est un aspect important de l’engagement de la Ville de Montréal sur la scène internationale. La Ville de Montréal souscrit aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en appuyant le renforcement des compétences des pouvoirs locaux dans le monde, en particulier dans les pays les plus démunis. Axées sur la bonne gouvernance et la prestation de services de qualité, nos interventions en matière de coopération internationale sont fondées sur le respect des traditions, des cultures, de l’égalité entre les hommes et les femmes, sur la valorisation des compétences locales et sur le respect des aspirations des partenaires.
Nous concentrons présentement nos efforts sur un nombre plus restreint de villes. À cet effet, la Ville de Montréal s’est engagée formellement à apporter son appui à Port-au-Prince pour l’aider à renforcer ses capacités de gestion et de gouvernance et améliorer la qualité des services offerts à sa population
Nous avons convenu avec Port-au-Prince d’un plan d’action sur 5 ans (2008-2013) en cinq volets axés sur :
1) La gouvernance et le renforcement institutionnel
2) L’égalité entre les hommes et les femmes
3) L’urbanisme et la revitalisation urbaine
4) Le transfert d’expertises dans les domaines des ressources humaines, des archives, du fonctionnement démocratique des instances municipales, du financement de projets
5) La réhabilitation des infrastructures. La coopération conduite par la Ville de Montréal prend diverses formes soit la réalisation de projets à moyens et longs termes, dans le cadre de programmes définis et soutenus par des bailleurs de fonds (ex. : projet de géomatique avec la Ville d’Hanoï). Elle peut également se réaliser sous forme de missions d’évaluation, de consultation ou de suivi de courte durée autant dans des villes partenaires du Nord que du Sud. Nous entretenons également des relations historiques avec les villes de Lyon et de Paris. Il s’agit d’échanges particulièrement dynamiques lesquels permettent l’envoi et l’accueil de missions d’études dans des domaines tels que l’aménagement urbain et les transports, la démocratie participative, l’environnement et le développement durable.
Signalons que dans le cadre de nos relations avec Lyon, nous recevrons à Montréal en octobre 2008, les Entretiens Jacques Cartier qui offriront une programmation d’une vingtaine de colloques scientifiques, en français, ouverts à des participants d’une vingtaine de pays. Avec la Ville de Paris, nous avons signé un accord de coopération en avril 2006 pour favoriser les échanges d’expertise sur les transports, l’aménagement urbain, le design et l’économie sociale. Nous souhaitons également à travers nos relations avec cette ville promouvoir les échanges universitaires et les échanges dans le domaine des sciences de la vie. L’économie montréalaise repose sur un certain nombre de secteurs de pointe.
Quels sont les secteurs dont les pays membres de la Francophonie peuvent profiter ?
Pour optimiser la valeur de son activité économique, Montréal a misé, depuis quelques années, sur le savoir, la créativité et l’innovation, une combinaison qui lui donne une personnalité économique originale et attrayante. Ces atouts compétitifs se manifestent particulièrement au sein de trois secteurs stratégiques de pointe, regroupés en grappes industrielles, soit l’aérospatiale, les sciences de la vie et les technologies de l'information et des télécommunications (TIC). Une large part du système de production montréalais s’organise sur le modèle des grappes industrielles, ce qui permet à Montréal de se démarquer très avantageusement dans ces secteurs innovants et créatifs. En effet, Montréal est l’une des trois capitales mondiales de l’aérospatiale avec Seattle, aux États-Unis, et Toulouse, en France; elle se place parmi les leaders mondiaux dans le domaine des sciences de la vie avec plus de 40 500 emplois; et, enfin, elle se classe au 3e rang en Amérique du Nord pour la densité d’emplois en TIC. Dans le domaine des jeux vidéos en particulier, Montréal se situe parmi les leaders mondiaux. Mais la force de Montréal ne réside pas seulement dans cette concentration d'expertise, mais également dans sa maind'œuvre hautement qualifiée. Grâce à la présence de quatre grandes universités, dont deux francophones, et de sept écoles affiliées, Montréal se classe au premier rang en Amérique du Nord pour la densité d'étudiants universitaires par rapport à la population totale.
Les employeurs de la région métropolitaine de Montréal peuvent ainsi compter sur une main-d’œuvre très bien adaptée aux exigences de l’économie du savoir. Les pays membres de la Francophonie peuvent bénéficier de l’ensemble de ces secteurs. Vous avez été élu maire à deux reprises. Quel est votre plan d’action pour les Montréalais et comment comptez-vous faire pour que Montréal puisse consolider sa place en tant que grande métropole francophone en Amérique du Nord ? Montréal, ville de langue française et cosmopolite, possède une personnalité internationale qui s’est façonnée à travers son histoire et grâce à sa position géographique stratégique et ses vocations de ville portuaire, de transport, de communication, de commerce et d’immigration. Dans le contexte de la mondialisation, Montréal doit continuer d’accroître son rayonnement international en misant notamment sur ses secteurs de pointe, sur sa créativité, son innovation ainsi que sur ses partenaires des milieux culturels, économiques et universitaires.
Cet accroissement du rayonnement se fait, en autres, grâce à la réalisation de missions économiques ciblées ou encore en participant à des forums internationaux. Nous avons au fil des années développé des expertises notamment dans le domaine de la gouvernance démocratique, de l’environnement et du développement durable, expertises que nous partageons avec nos homologues provenant d’autres villes francophones. Nous profitons également de ces échanges internationaux pour renforcer nos connaissances dans les domaines du transport collectif ou encore de gestion des matières résiduelles. Les villes ont de plus en plus tendance à se regrouper et à se consulter dans leur recherche de solution aux défis posés par la croissance urbaine.
Elles sont en même temps de plus en plus présentes sur la scène nationale et internationale pour revendiquer le droit d’orienter les décisions qui auront des répercussions sur la gestion et le développement de leur territoire respectif. Les associations internationales de villes constituent donc des lieux de partage d’expertise, de réflexion, de formation et de coordination. L’adhésion de Montréal à des associations internationales de villes est fondée d’une part sur le potentiel de retombées pour Montréal, sur la prise en compte des enjeux et des priorités de développement de la ville et de la communauté montréalaise, ainsi que sur l’adéquation entre les exigences de sa participation et la disponibilité de nos ressources humaines et financières. Dans le but d’apporter sa propre contribution au renforcement des pouvoirs locaux dans le monde, la Ville s’est engagée à accroître sa présence active et son engagement concret au sein d’associations généralistes telles que MÉTROPOLIS et Cités et gouvernements locaux unis (CGLU). Elle s’est aussi engagée dans des associations dites thématiques comme l’AIMF (Francophonie et solidarité), International Council for Local Environmental Initiative (ICLEI, environnement), Lighting Urban Community International (LUCI, aménagement urbain), Mayors for Peace (paix) et la Ligue des villes historiques (patrimoine). Elle participe également à une association régionale, l’Alliance des villes des Grands Lacs et du St-Laurent.
Les entreprises des pays francophones éprouvent beaucoup de difficultés à obtenir du financement. Comment faire pour renforcer la capacité des pays francophones ? Que suggérez-vous ?
Le financement d'entreprises se définit à plusieurs niveaux que ce soit, par exemple, par le démarrage d’entreprise ou, encore, par l’expansion d’entreprises existantes. À Montréal, nous avons défini un modèle afin de soutenir davantage le démarrage d'entreprise. Par l’entremise d’organisations de développement économique local, appelées « centre local de développement », nous visons à stimuler l’entrepreneuriat local en offrant des services d’accompagnement et de soutien auprès des entrepreneurs potentiels et en gérant des programmes d’aide aux entreprises. Par leurs actions, ces centres sont des agents de mobilisation et de concertation qui contribuent à un développement local durable, rentable et équitable tant socialement qu'économiquement. Il s’agit d’un modèle intéressant qui pourrait sûrement inspirer certaines entités publiques de la Francophonie.
Les conclusions de la Rencontre internationale de la Francophonie économique (RIFÉ) qui a eu lieu à Québec en mai 2008 sont fort intéressantes et prometteuses si l’Organisation internationale de la Francophonie accepte d’y donner suite. De créer au sein de l’OIF un pôle de développement et d’animation économique serait un pas dans la bonne direction en permettant de regrouper au sein d’un même organisme subsidiaire toutes les activités à caractère économique de la Francophonie. La création d’une Société francophone d’investissement (SOFRIN) proposée lors de la RIFÉ a suscité beaucoup d’intérêt de la part de nos institutions financières qui se sont dites prêtes à collaborer aux études de faisabilité.
Mais ce qui me semble tout aussi important c’est l’invitation qui a été faite aux pays de la Francophonie de faire tous les efforts qui s’imposent pour créer des conditions favorables au développement des affaires, à savoir : un environnement juridique et fiscal incitatif, un environnement politique et socio-économique stable, des infrastructures facilitant les activités économiques et les échanges, des réseaux d’affaires organisés grâce à un véritable espace francophone numérique dédié aux affaires.
Biographie
Gérald Tremblay est né le 20 septembre 1942 à Ottawa, Licencié en droit de l'Université d'Ottawa en 1969, puis admis au Barreau du Québec en 1970, il devient titulaire, avec distinction, d'une maîtrise en administration des affaires de la Harvard Business School, en 1972. Analyste financier et de crédit, puis représentant des ventes chez Dun & Bradstreet entre 1963 et 1966, professeur et chargé de cours à l'École des hautes études commerciales de 1974 à 1977, il devient aussi gestionnaire en redressement d'entreprises ainsi que propriétaire et dirigeant d'entreprises dans les secteurs de l'hôtellerie et de la vente au détail, de 1974 à 1986. Associé principal et directeur général d'une firme-conseil membre du Groupe Sobeco Ernst & Young de 1977 à 1981, vice-président exécutif de la Fédération des caisses d'entraide économique du Québec en 1981 et 1982, il occupera jusqu’en 1989 le poste de président-directeur général de la Société de développement industriel (SDI).
Il occupe durant la même période le poste de gouverneur de l’Association des MBA du Québec (1991), membre du conseil d’administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec (1988–1989) et membre du conseil d’administration et du comité exécutif d’Hydro-Québec (1988–1989). Élu député libéral dans le comté d’Outremont une première fois en 1989, il est nommé ministre de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie du Québec, fonction qu’il occupera jusqu’en septembre 1994. Réélu député lors des élections générales en septembre 1994, il est nommé président de la Commission de l’économie et du travail du Québec (1994–1996). De 1996 à 1998, il travaille comme conseiller principal de Monitor Company, firme internationale spécialisée en planification stratégique.
Gouverneur de la Bourse de Montréal de 1996 à 2000 et président du Centre de perfectionnement de l’École des hautes études commerciales (HEC), de 1996 à 2001, il fonde, le 4 octobre 1999, l’Institut pour le progrès socio-économique (IPSÉ). En 2000, il est nommé président de la Commission consultative sur la politique de consultation publique sur les projets dérogatoires au plan ou aux règlements d’urbanisme de Montréal. Premier chef du parti municipal de l’Union des citoyens et citoyennes de l’île de Montréal (UCIM) en 2001, il est élu maire de la nouvelle Ville de Montréal le 4 novembre 2001, fonction à laquelle il est réélu en 2005. De par sa fonction de maire, il est de facto président de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et membre du conseil d’administration de la Fondation du maire de Montréal pour la jeunesse. Il est également membre du conseil d’administration de la Fédération canadienne des municipalités (FCM) et du Caucus des maires des grandes villes de la même organisation depuis 2002.
À titre de maire de Montréal, Gérald Tremblay siège au sein de plusieurs organisations internationales : vice-président exécutif, trésorier et président de la Commission sur le financement des services et des infrastructures de Métropolis depuis 2002, membre de Mayors for Peace depuis 2004, vice-président de la Commission de l’eau et de la Commission de la gestion locale de l’eau et de l’assainissement de Métropolis, directeur pour la région SaintLaurent/Québec de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, vice-président de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) et membre fondateur du Conseil mondial des maires sur les changements climatiques depuis 2005.
En 2006, il est nommé vice-président pour l'Amérique du Nord de l'organisme Cités et Gouvernements locaux unis (CGLU) et réélu vice-président de l’Association internationale des maires francophones (AIMF). Il devient également, en 2007, vice-président du World Mayors Council on Climate Change. Préoccupé par la démocratie et la participation des citoyens à la vie municipale, il a créé en 2002 un poste de Protecteur des citoyens et un Office de consultation publique et s’est fait le promoteur d’une Charte montréalaise des droits et des responsabilités uniques dans les annales du monde municipal, laquelle est entrée en vigueur le 1er janvier 2006.