ABDOU DIOUF
Ancien président du Sénégal, successeur de Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf a marqué l’histoire du continent africain en matière démocratique. Premier chef d’État en exercice d’un grand pays africain à reconnaitre sa défaite à l’issue d’un scrutin libre, il est devenu la figure la plus visible de la Francophonie. Dans l’interview qui suit, il fait un tour d’horizon des grandes questions actuelles.
Magazine Diplomat investissement : Présentez-nous l’Organisation internationale de la Francophonie et quelques-unes de ses actions d’éclat dans le monde ?
M. Abdou Diouf :L'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) regroupe aujourd’hui 55 États et Gouvernements membres et 13 observateurs répartis sur les cinq continents. Elle a quatre grandes missions prioritaires : premièrement la langue française et la diversité culturelle et linguistique, deuxièmement la paix, la démocratie et les droits de l’Homme, troisièmement l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche et quatrièmement, la coopération au service du développement durable et de la solidarité. Le message de notre organisation est clairement centré autour de ce leitmotiv : solidarité autour d’une langue et des valeurs qu’elle porte, comme la justice, l’équité, la paix et les droits de l’Homme. Solidarité économique aussi, entre des États du Nord et du Sud, mais aussi entre des États émergents et ceux figurant parmi les plus pauvres du monde. Solidarité pour préserver la diversité des cultures, des identités, des langues. Je précise que la Francophonie dispose de quatre opérateurs qui agissent chacun dans son domaine d’action respectif : l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Association internationale des Maires francophones (AIMF), l’Université Senghor d’Alexandrie et la chaîne de télévision TV5 Monde, qui est aujourd’hui l'un des 3 plus grands réseaux mondiaux de télévision, aux côtés de MTV et de CNN. Sans oublier l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), que j’appelle la « vigie de la démocratie » de la Francophonie. Aujourd’hui, l’Organisation internationale de la Francophonie est engagée dans des actions de coopération, mais aussi dans des actions politiques et diplomatiques.
En outre, elle a continuellement le souci d’adapter ses actions aux problématiques actuelles. Je vous citerai l’exemple de la diversité culturelle, dossier sur lequel les francophones ont été à la pointe du combat, ou celui des nouvelles technologies qui nous mobilise tous. Quant aux projets phares que nous menons, je peux vous citer quelques exemples, comme le service de jeunes volontaires que nous mettons en place, comme le projet de formation à distance des maîtres du primaire ou celui des maisons des savoirs.
Le sommet de la Francophonie à Québec est une autre occasion pour réfléchir au sujet des préoccupations majeures du monde.
Qu'est-ce qui a motivé principalement le choix du thème de cette année, et comment entrevoyez-vous le rôle de la Francophonie au cours de ce 21e siècle?
Une des originalités de ce Sommet est, qu’au lieu d’un seul thème central, comme c’était le cas lors des sommets précédents, les organisateurs en ont choisi quatre : l’État de droit, la démocratie et la paix, ensuite la gouvernance économique, puis l’environnement et enfin la langue française. Je pense que c’est la volonté d’innover qui a motivé ce choix. De même, ce Sommet innovera aussi sur la forme puisque les co-hôtes, le Canada et le Québec ont souhaité rompre avec les monologues habituels : les chefs d’État et de gouvernement pourront avoir des discussions dynamiques à l’occasion des tables rondes qui seront organisées lors de ce Sommet. La Francophonie s’efforce pour sa part de développer un dialogue franc et ouvert entre pays riches et pays pauvres, entre pays de culture différente, de religion différente. Dans cette tâche, nous avons un atout de choix, qui est la langue que nos 68 États et gouvernements ont en partage, et les valeurs qu’elle véhicule. La langue française est en effet, pour nous, le moyen privilégié de nous rencontrer, de mieux nous connaître, de mieux nous comprendre, de travailler ensemble au service des plus démunis, et plus largement au service d’une certaine vision de l’homme, d’une certaine vision de la gestion du monde, du bien commun mondial.
La langue et la culture françaises se portent-t-elles bien en ce moment ou sont-elles menacées par l’« American way of life » ou la culture américaine ?
Le combat de la Francophonie n'est pas un combat contre une « menace », ni pour une exclusivité francophone dans le monde, encore moins pour l'exclusivité d'une autre langue non plus. Notre combat est un combat pour la diversité linguistique et culturelle. Nous pensons que le monde ne peut que s'enrichir de ces différents apports. De manière générale, le nombre d’apprenants en français est en croissance constante. Partout où je me déplace, je rencontre des demandes en matière d’enseignement du français : plus de professeurs, plus d’écoles, plus de possibilités d’apprentissage, etc. Et je m’efforce de relayer ces requêtes. Par contre, sur la scène internationale, la place de la langue française doit être renforcée. La Francophonie a fait de la promotion de la langue française une priorité. Au sein des Nations Unies, à l’Union africaine, à l’Union européenne ou au Comité international olympique, nous nous battons pour faire respecter l’utilisation de notre langue.
Les observateurs pensent que la Francophonie met plus l’accent sur les aspects politiques et culturels et qu’elle devrait plutôt s’occuper de l’économie et de l’investissement. Quel est votre point de vue?
Je ne pense pas que la Francophonie néglige l’économie et l’investissement. Mais il est clair qu’en raison de l’importance qu’elle attache d’abord à la défense de la langue, de la diversité linguistique et culturelle et des valeurs de paix et de démocratie, en raison aussi de ses moyens limités et de la présence d’autres intervenants spécialisés dans le domaine financier, ses actions sont moins connues et plus ciblées : appui aux négociations commerciales, à l’information des entreprises sur les financements internationaux disponibles, à la bonne gestion de la dette publique, à la mise en place de modes de financement innovant, à la micro-finance. Ces actions sont appréciées par nos partenaires institutionnels, que ce soit le Commonwealth, l’Union européenne ou la Banque mondiale. Les entreprises des pays francophones surtout celles des pays africains éprouvent des difficultés pour mobiliser le financement.
Croyez-vous que la mise en place d’un Fonds d’investissement des pays francophones sera utile?
Il existe déjà de nombreux Fonds d’investissements et de nombreux moyens de mobiliser des financements. Si les entreprises de certains pays éprouvent des difficultés de ce point de vue, cela tient souvent à la situation générale de l’économie dans laquelle elles opèrent plutôt qu’à leur propre situation. Cela dit, l’idée d’un Fonds d’Investissement des pays francophones fait l’objet de nombreuses discussions, en particulier dans le cadre de la préparation du Sommet de Québec. Aude là de l’idée, très intéressante, il y a de nombreux problèmes à résoudre – financiers, réglementaires et comptables. Il faut donc attendre les propositions à ce sujet pour savoir si ce serait véritablement utile et si, conformément à nos principes, cela apporterait une vraie valeur ajoutée francophone dans le secteur économique.
Biographie
Abdou Diouf est né le 7 septembre 1935 à Louga. Il fait ses études primaires et secondaires à Saint-Louis Il débute des études de droit à la Faculté de Dakar et les poursuit à Paris et devient breveté de l'École Nationale de la France d'Outre-Mer (ENFOM) en 1960. A 25 ans, il commence une carrière de haut fonctionnaire en assumant successivement les postes de Directeur de la Coopération technique Internationale, de Secrétaire général du Ministère de la Défense et de Gouverneur de la région du Siné-Saloum, au Sénégal. Directeur de Cabinet du Président Léopold Sédar Senghor en 1963, puis Secrétaire général de la Présidence de la République du Sénégal en 1964.
Il devient ensuite ministre du Plan et de l'Industrie de 1968 à 1970. Le 26 février 1970, il est nommé premier ministre, fonction qu’il occupera pendant 11 ans. Il devient Président de la République du Sénégal le 1er janvier 1981, à la suite de la démission du Président Senghor. Il est reconduit dans ses fonctions lors des élections de 1983, 1988 et 1993. Il cède sa place à Abdoulaye Wade à la tête de l'État sénégalais lors des élections présidentielles de mars 2000. Ses différents mandats furent placés sous le signe de la politique d'ouverture au multipartisme, sur la libéralisation progressive de l'économie et sur la décentralisation.
Abdou Diouf a contribué à faire entendre la voix du Sénégal dans le monde et a lutté pour une plus grande unité africaine, notamment en assumant les fonctions de Président en exercice de l'Organisation de l’Unité africaine (OUA, devenue aujourd’hui l’Union africaine) et Président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Il a aussi exercé les fonctions de Président du 3e Sommet de la Francophonie, organisé à Dakar en 1989, jusqu’au Sommet suivant, organisé à Paris, en 1991. Succédant à Boutros Boutros-Ghali, Abdou Diouf a été élu Secrétaire général de la Francophonie au IXe Sommet de la Francophonie le 20 octobre 2002 à Beyrouth. Il a été réélu pour un deuxième mandat de quatre ans le 29 septembre 2006, lors du XIe Sommet de la Francophonie, organisé à Bucarest.