RAYMOND CHRÉTIEN
C’est l’un des visages les plus connus et les plus estimés de la diplomatie canadienne. Raymond Chrétien a consacré 38 ans de sa vie à défendre le Canada, ses intérêts et ses valeurs, à travers le monde, à faire connaître son pays. Ayant occupé le poste d’ambassadeur du Canada entre autres à Washington et à Paris, deux capitales prestigieuses pour un diplomate, il est demeuré impliqué même après sa retraite. Qui de mieux placé pour les lecteurs de Diplomat Investissement quand il s’agit de commenter et d’analyser l’élection de Barack Obama.
Magazine Diplomat investissement: Monsieur Chrétien, en tant qu’ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis, comment analysez-vous l’élection de Barack Obama?
Raymond Chrétien: C’est un grand moment pour la démocratie américaine. C’est l’aboutissement d’un processus qui a duré près de 22 mois et que nous avons tous suivi avec intérêt. Les péripéties de cette très longue campagne se sont conclues par une grande victoire du Parti démocrate, tant à la Présidence qu’au Sénat et à la Chambre des représentants. Évidemment, c’est aussi une grande victoire personnelle de Barack Obama. Il a gagné grâce à ses talents personnels, à son charisme, à son éloquence et surtout parce qu’il était à l’écoute des préoccupations des Américains. C’est une grande victoire pour les États-Unis dans le monde. L’arrivée d’Obama a déjà changé la façon dont les Américains sont perçus. Leur réputation était au plus bas depuis la guerre en Irak. L’ère Obama sera le début du long redressement de l’image et de la réputation des États-Unis sur la planète.
Les États-Unis ont souvent des relations tendues avec l’ONU. Croyez-vous maintenant possible la réforme des Nationsunies avec la nouvelle donne ?
Je suis arrivé à la Mission du Canada auprès des Nations-unies comme jeune diplomate à l’automne 1967. Nous parlions déjà de la réforme de l’ONU, de la réforme du Conseil de Sécurité! Je ne crois pas que cela va se produire la semaine prochaine. Cela dit, il est évident que la composition du Conseil de sécurité devrait refléter d’avantage la réalité du monde actuel. Mais les pays qui ont des sièges permanents et des droits de véto au Conseil de sécurité (États-Unis, France, Grande Bretagne, Russie, Chine) ne veulent pas abandonner leur statut privilégié. C’est un pouvoir et un prestige énormes qu’ils ont avec le contrôle du Conseil de sécurité. Ils n’ont pas beaucoup d’intérêt à voir des pays comme le Japon, l’Inde et le Brésil y arriver. Cela dit, il y d’autres forums importants comme le G-8 et le G-20 qui, sans remplacer bien sûr le Conseil de sécurité, prendront un rôle prépondérant dans la gestion des affaires de notre planète. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le sommet de Washington sur la résolution de la crise financière mondiale a fait appel à plusieurs pays émergents membres du Groupe des 20. C’est l’illustration la plus claire que nous nous adaptons à une nouvelle donne économique et politique causée par la crise financière actuelle et la récession économique qui l’accompagne. Je pense que les efforts vont continuer pour réformer les Nations-Unies, mais y arriver ne sera pas facile. Parlons momentanément finances.
Il y a eu récemment le Sommet du G-20 à Washington sur la crise financière. Quelle est votre analyse?
Ce sommet a eu lieu à la demande du président Nicolas Sarkozy de France qui agissait également à titre de président en exercice de l’Union européenne. Les Européens voulaient ce sommet, certes, mais les Américains étaient plus réticents. Le président Bush a tout de suite bien marqué sa position : il ne voulait pas une réforme en profondeur du capitalisme. Il est clair qu’il y aura une réglementation plus serrée des grandes institutions financières et des banques aux États-Unis, en Europe et au Japon.
Les Banques centrales et les ministères des Finances auront des moyens légaux de « serrer » d’avantage la vis aux institutions financières. Mais je ne pense pas qu’il y aura des institutions supranationales pour contrôler le capitalisme et les flux financiers. Un organe supranational de supervision est inacceptable pour les Américains qui croient que le capitalisme est le meilleur système du monde. Cependant, même les Américains prennent des décisions qui, en réalité, indiquent clairement un rôle plus important des gouvernements dans leurs relations avec les grandes institutions financiers du monde.
Et, comment pensez-vous que le Canada pourra s’en sortir ?
Il y a présentement à Ottawa une grave crise politique qui, je l’espère, ne va pas dégénérer également en crise constitutionnelle. C’est très dommage pour la gestion de la crise financière et économique actuelle, qui pourrait en souffrir. Cela dit, je ne crois pas que le rôle du Canada soit majeur pour ce qui est de la relance de l’économie planétaire. Avec une population de seulement 32 millions d’habitants, l’influence du Canada est forcément limitée. Mon souhait est évidemment que le Canada prenne lui aussi les mesures de relance nécessaires pour l’économie canadienne. Le Canada est cependant privilégié puisque ses finances publiques sont en bien meilleur état que celles des autres grands pays industrialisés.
Selon votre perspective et à la lumière de la crise financière actuelle, est-il vraiment possible que la nouvelle administration exige une réouverture de l’Aléna et pourquoi?
En d’autres termes, y aura-t-il d’avantage de protectionnisme aux États-Unis? En période de crise financière et de récession qui pourrait être plus dure et plus longue que prévu, il ne serait pas étonnant que le Congrès soit tenté d’adopter des lois protectionnistes destinées à sortir leur pays du marasme dans lequel il se trouve. Le Canada devra être vigilant à cet égard et combattre toute mesure protectionniste susceptible de nuire aux intérêts canadiens. Pour ce qui est de l’Aléna, je ne crois pas que l’administration Obama forcera le Mexique et le Canada à réouvrir et renégocier de fonds en comble cet accord de libre-échange. Pendant la campagne présidentielle, il a voulu donner des gages, des garanties à sa clientèle, notamment les syndicats. Mais ré-ouvrir et renégocier l’Aléna serait, à mon avis, très difficile sinon impossible en période de crise économique et financière.
Est-il possible que le gouvernement actuel du Canada et la nouvelle administration américaine collaborent ensemble et dans quels domaines d’intérêt?
C’est le désir du Gouvernement conservateur actuel au Canada. Il devra cependant composer avec un nouveau président immensément populaire avec, en plus, les médias qui scrutent tous les détails de sa vie, tant privée que publique. Le président Obama ne va pas rêver au Canada nuit et jour ! Il aura autre chose à faire. Mais quand 25 % des exportations américaines viennent chez nous, il est important que nos amis américains nous regardent parfois dans le rétroviseur. Le dossier des changements climatiques sera intéressant à surveiller. Les Américains se préparent à faire un tournant vert. Il faut que le gouvernement canadien soit prêt. Il faut éviter la déconnexion avec les États-Unis sur ce plan. Monsieur Harper a déjà mis sur la table l’idée d’une politique continentale pour lutter contre les gaz à effet de serre. On verra comment cela évoluera et, notamment, ce que les Mexicains voudraient faire à cet égard. En effet, depuis l’Aléna, nous sommes trois dans cette relation avec les États-Unis.
Enfin, croyez-vous que le Canada restera un partenaire stratégique de Washington dans la définition du capitalisme qui se décide?
Il n’y aura probablement pas de redéfinition fondamentale du capitalisme. Il y aura, selon moi, quelques ajustements mais sans remettre en question le système fondamental. L’on parlera beaucoup plus de complémentarité entre les institutions canadiennes et américaines. Au Canada, nous avons un capitalisme modéré, tempéré de mesures sociales comme l`assurance-maladie par exemple. Mais à tout considérer, je pense que la position du Canada sera plus proche de celle des Américains que celle des Européens.