ABBAS TOLLI MINISTRE DES FINANCES ET DE L’INFORMATIQUE
Le grand argentier du Tchad, homme dynamique et discret, bénéficiant de la confiance des autorités de son pays, n’a pas la tâche simple. Il doit permettre à l’État de recouvrer ses recettes intérieures, de solliciter des appuis extérieurs, d’assainir les finances publiques et surtout de bien gérer les fonds publics. Même s’il agit avec l’appui ferme du Président Idriss Déby Itno, le travail quotidien lui impose rigueur et vision. Nous avons réalisé une entrevue avec lui où il dresse quelques aspects de ses réflexions sur les finances de son pays.
Magazine Diplomat Investissement : Monsieur le Ministre, vous avez récemment réaffirmé la volonté de votre gouvernement de poursuivre les réformes administratives, économiques et financières susceptibles d’améliorer la gestion des finances publiques. Qu’en est-il de ces réformes ?
Ministre Abbas Tolli : En réalité, la volonté du Gouvernement de poursuivre les réformes administratives, économiques et financières en vue d’améliorer la gestion des finances publiques n’est pas récente. Le Gouvernement a toujours initié et parfois mis en œuvre les réformes des structures administratives afin de les rendre performantes. Comme vous le savez, les réformes sont non seulement très coûteuses en termes de moyens financiers mais nécessitent également des expertises dont on ne dispose pas forcément au niveau national. Pour ces raisons les réformes entreprises antérieurement n’ont pas toutes réussi faute de ressources locales suffisantes. En 2005, le Gouvernement a adopté un Plan d’Action pour la Modernisation de la gestion des Finances publiques (PAMFIP). Ce vaste programme a obtenu l’adhésion de plusieurs partenaires, notamment la Banque mondiale, l’Union européenne, la Coopération française, le PNUD, la BAD, pour ne citer que ceux-là. Le Gouvernement lui-même a également contribué financièrement à la mise en œuvre du programme d’assainissement des finances publiques; c’est ainsi que pour l’exercice budgétaire 2007, plus d’un milliard de FCFA ont été inscrits sur le budget pour mettre en œuvre cette réforme sans compter les ressources additionnelles apportées par les partenaires susmentionnés. À titre d’illustration, sachez que la Banque mondiale a accordé un don de 10 millions de dollars US sur cinq ans, l’Union européenne a signé avec l’État une convention d’ouverture de don à hauteur de 5,1 millions d’euros sur trois ans et le PNUD apportera un appui de 300 000$ pour l’exercice 2007/2008. Vous conviendrez que, pour la plupart, les financements extérieurs viennent seulement d’être mobilisés cette année et je puis vous dire que je suis optimiste quant à la réussite de ces réformes.
Quel rapport le Tchad entretient-il avec les institutions financières internationales, et quels sont les projets concrets réalisés par ces institutions au Tchad ?
Avec les Institutions financières internationales, le Tchad entretien de très bons rapports de coopération. Il est vrai qu’en fin de l’année 2005, des incompréhensions sont intervenues entre la Banque mondiale et le Tchad lorsque pour des raisons d’intérêt national, la Loi n° 001 portant sur la gestion des revenus pétroliers avait été amendée. Ce malentendu que je qualifierais de scène de ménage, s’est dénoué très rapidement et pour preuve, nous avons dès le début du deuxième semestre 2006 signé avec la banque un accord consolidant notre coopération et comportant les assurances suffisantes quant à l’utilisation efficiente de nos opportunités financières en vue de réduction de la pauvreté. Dans le même temps, la Banque a repris le financement qu’elle avait suspendu aux projets. Il faut rappeler que l’IDA finance plus de 10 projets au Tchad, plus particulièrement dans les secteurs sociaux tels que la Santé, les Actions sociales, l’Éducation, les Infrastructures et l’Urbanisme, la bonne gouvernance financière (PAMFIP) etc. Quant au Fonds monétaire international, je rappelle que le programme appuyé par la FRPC conclu avec cette Institution a dû certes être suspendu en 2005 à cause du non respect de certaines conditionnalités. Celles-ci sont attribuables à la conjoncture particulière que traverse le pays consécutif à la crise humanitaire du Darfour dont les conséquences sur la conduite de programmes de développement économique sont majeures. En tout état de cause, cela n’a pas empêché la poursuite des négociations avec ce partenaire privilégié en vue de la reprise du programme. J’en profite pour vous informer que les choses sont très avancées dans ce sens après la récente mission du FMI à N’Djaména et les entretiens que nous venons d’avoir à Washington en marge des Assemblées annuelles. Un autre partenaire et non le moindre, est l’Union européenne. Rien que pour l’année 2006/2007 et dans le cadre du 9ème FED ce partenaire a financé pas moins de 20 projets dans différents domaines et plus particulièrement dans les infrastructures, l’environnement et l’hydraulique pour permettre à la population d’accéder à l’eau potable. En plus des projets de développement, l’appui de l’Union européenne a permis de renforcer le dialogue politique au Tchad et cela a abouti à la satisfaction de tous à la signature d’un accord politique en août dernier.
Enfin le PNUD et la BAD ont chacun, en ce qui leur concerne, appuyer les efforts du Gouvernement surtout dans le domaine de la bonne Gouvernance et du renforcement des capacités des administrations en charge de collectes de recettes et d’exécution des marchés.
Quelles sont les grandes orientations du budget de 2008, et comment celui-ci peutil améliorer les conditions de vie des Tchadiens ?
Le principal défi de la politique économique consiste à garantir une utilisation durable et optimale des revenus pétroliers escomptés pour réduire la pauvreté. Dans cette circonstance, notre stratégie budgétaire consiste à (i) transformer les recettes pétrolières éphémères du Tchad en d’autres formes de capital (ii) renforcer la collecte des recettes non pétrolières et (iii) améliorer le circuit des dépenses afin d’assurer l’utilisation efficace et transparente des ressources budgétaires. Le Gouvernement est déterminé pour l’exercice 2008 à axer le budget sur la réduction de la pauvreté et la sauvegarde de la stabilité macroéconomique. Aussi, doit-il parvenir à un équilibre entre les dépenses généralement urgentes contenues dans la SNRP II et son Plan d’Action Prioritaire (PAP). Pour conclure sur cette question, je dirai que le budget 2008 vise à économiser une part substantielle des revenus pétroliers permettant ainsi, d’une part un étalement des dépenses sur le moyen terme et d’autre part, d’éviter une crise budgétaire dans l’hypothèse où les recettes pétrolières baisseraient davantage.
Le gouvernement vient d’entamer la mise en œuvre d’une planification stratégique globale visant à lutter contre la pauvreté. Dans ce contexte, votre Ministère a-t-il entrepris les négociations avec les institutions financières dans le cadre de l’initiative de pays pauvre très endettés (PPTE) ?
Après l’adoption du Document de Stratégie Nationale de réduction de la Pauvreté en 2003, mon pays a signé avec les Institutions de Breton Wood un programme appuyé par la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC) approuvé par le conseil d’administration du FMI en 2005. Ce programme qui devrait nous permettre d’atteindre le point d’achèvement après le point de décision, atteint en 2001, a été suspendu en raison de certaines contingences. Nous venons de reprendre les négociations pour prolonger ce programme jusqu’en 2009. Si tout se passe bien et je l’espère, parce que des progrès importants sont réalisés, nous devons atteindre le point d’achèvement d’ici le deuxième semestre de 2008 afin de bénéficier de l’allègement de la dette.
Quelle stratégie votre Ministère, compte-t-il mettre en place pour mobiliser les ressources financières internes (recettes) et externes susceptibles de soutenir le développement économique du pays ?
Les ressources financières internes sont de deux ordres. Il y a les ressources traditionnelles non pétrolières collectées par les régies et les ressources nées de la production pétrolière. Si aujourd’hui fort heureusement le Tchad est entré dans le cercle restreint des pays producteurs de pétrole, il est avant tout et demeure, un pays au sud du Sahara à vocation agro sylvo pastoral avec une prédominance d’activités traditionnelles axées sur l’élevage et l’agriculture. Vous convenez que dans l’état actuel, ces activités sont à faible valeur ajoutée. L’option du Gouvernement est non seulement de moderniser ce secteur mais également de doter le pays de structures permettant la transformation des produits d’élevage et de l’agriculture et par conséquent de valoriser le secteur. S’agissant plus spécifiquement du ministère des Finances nous voulons faire en sorte que la collecte des recettes soit mieux maîtrisée. Ainsi les dispositions sont prises par la création de certaines structures chargées de suivre l’exploitation et l’exportation du brut tchadien. Mais compte tenu de la volatilité des ressources pétrolières, un accent particulier est mis sur les efforts visant à améliorer la collecte des recettes ordinaires non pétrolières. C’est d’ailleurs l’un des buts poursuivis en élaborant le Plan d’action pour la modernisation de la gestion des Finances publiques; nous entendons pour ce faire non pas augmenter les taux d’impôt à la charge des citoyens mais élargir l’assiette fiscale. Pour ce qui est des ressources extérieures, la stratégie du Gouvernement consistera à faire régner la confiance par un cadre règlementaire et légal plus attrayant. Bien entendu, le Tchad appartient à une espace communautaire et la tendance est à M. Ousman Matar Breme, Ministre de l’Économie et du Plan, Dr. Moctar Moussa, Secrétaire général adjoint à la Présidence de la République (C) et M. Abbas Mahamat Tolli, Ministre des Finances et de l’Informatique l’harmonisation mais l’harmonisation ne veut pas dire uniformisation et le Tchad tiendra compte de la politique communautaire pour adapter ses textes.
Compte tenu de la fragilité de l’économie tchadienne dans le contexte de la mondialisation, quels mécanismes avez-vous prévus pour renforcer les efforts du pays afin de maîtriser le grand équilibre macroéconomique ?
C’est vrai l’économie tchadienne est fragile pour plusieurs raisons. D’abord le Tchad est un pays enclavé et les principales activités économiques relèvent, pour l’essentiel, du secteur primaire avec une agriculture encore traditionnelle dépendant des aléas climatiques et un élevage de transhumance. Ceci étant, dans le contexte de mondialisation, le Tchad et les autres pays membres de l’Afrique centrale ont opté pour une intégration poussée de leurs économies. À cet effet, ils ont signé, en mars 1994 à N’Djamena, le Traité à l’origine portant création de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). L’objectif fut la création d’un marché économique et monétaire commun, reposant sur la libre circulation des biens et services, des personnes et des capitaux à l’intérieur des États membres. Aujourd’hui cet espace commun existe, néanmoins, il comporte quelques petits problèmes, notamment au niveau des réseaux routiers. Cette intégration permet aux États membres de mieux défendre leurs positions face à la concurrence mondiale de plus en plus agressive. Les négociations des accords de Cotonou, avec l’Union européenne par exemple, sont menées au niveau de cette espace sous régionale.
Monsieur le Ministre, vous envisagez d’effectuer une visite de travail au Canada, quel message souhaiteriez-vous adresser aux opérateurs économiques et aux décideurs de ce pays ?
Le Canada est un pays que j’aime beaucoup pour y avoir étudié. C’est un pays accueillant et hospitalier dont le niveau développement économique et les politiques budgétaires constituent un cas d’école. Le Canada est aussi un pays de libertés et une très grande démocratie. J’envisage en effet, d’y effectuer une visite de travail en vue d’examiner les opportunités de coopération et d’échanges économiques. Cela dit, le message que je souhaite adresser aux opérateurs économiques de ce grand pays est de les inviter à venir eux-mêmes voir sur le terrain les opportunités d’affaires qu’offre mon pays, encore vierge. Un rapprochement avec le Canada, le grand pays des PME, intéresse particulièrement le milieu d’affaires tchadien qui souhaite diversifier ses horizons à l’ère pétrolière.