RAYMOND CHRÉTIEN

RAYMOND CHRÉTIEN

Raymond Chrétien est sans aucun doute le diplomate canadien le plus connu, à l’intérieur comme à l’extérieur du Canada. Pendant 38 ans, il a fréquenté ce monde au sein duquel se nouent et se dénouent les alliances mondiales. Il a été ambassadeur en France, aux ÉtatsUnis, en Belgique, au Mexique et au Congo ex-Zaïre en plus d’un poste de sous-secrétaire d’État associé au ministère des Affaires étrangères. Maintenant retraité de la diplomatie, il est conseiller stratégique du réputé cabinet d’avocats Fasken Martineau DuMoulin. Raymond Chrétien fut également représentant spécial de M. Boutros Galli, Secrétaire Général des Nations-Unies pour le confit à l’Est de la République Démocratique du Congo lors du Génocide rwandais. Raymond Chrétien est reconnu comme une personne de grande qualité, un homme d’expérience, très dynamique. Sa force principale est sa capacité d’écoute. Il l’a prouvé au cours des grandes négociations auxquelles il a participé. Son rêve principal, c’est de travailler à établir la paix et la stabilité dans le monde. Il a énormément apprécié son rôle d’envoyé personnel de M. Boutros Boutros-Ghali, Secrétaire général des Nations-Unies à l’époque, dans la région des Grands Lacs de l’Afrique centrale.

Nous avons profité de son retour à Montréal pour nous entretenir avec lui sur la nouvelle diplomatie et les négociations.

Magazine Diplomat Investissement: Excellence, depuis quelques années, la diplomatie de représentation classique s’est transformée en diplomatie économique. Comment avez-vous vécu cette mutation et quels sont, selon vous les avantages et les inconvénients de cette approche ?

M. Raymond Chrétien: La diplomatie classique a connu une évolution importante à la fin de la Guerre froide. Pendant cette période, la diplomatie traditionnelle était du ressort presque exclusif des gouvernements. La diplomatie économique, elle est dictée par la nécessité de créer et de consolider les échanges commerciaux dans le monde. La fin de la Guerre froide a permis la libéralisation de plusieurs économies et surtout, c’est important, la formation d’alliances stratégiques entre nations qui ont des intérêts communs. Donc, le rôle des ambassadeurs a changé en même temps que cette nouvelle donnée. L’ambassadeur fait la promotion de son pays auprès des partenaires du pays dans lequel il est accrédité. C’est une diplomatie qui fait énormément appel à la communication moderne. Les ambassadeurs qui ont une maîtrise déficitaire des outils de communication ou qui ne l’utilisent pas auront évidemment beaucoup de problèmes pour faire leur travail. Par exemple, au temps de la diplomatie classique, la diffusion de l’information se faisait suivant un cadre rigide : il fallait passer par les canaux officiels et hiérarchiques. On perdait du temps et des ressources. Actuellement, l’ambassadeur dispose de tous les outils d’information et de communication et tout peut se faire de manière immédiate. Le diplomate doit être encore capable d’identifier rapidement les forces économiques en jeu, les produits qui positionnent son pays, la valeur du marché, le milieu financier et industriel. Excellence, donc, le diplomate doit attirer aussi des investisseurs dans son pays… Tout à fait ! Avant la fin de la Guerre froide, le monde était bipolaire, cette bipolarisation avait un impact négatif sur les mouvements des capitaux et des investissements à travers le monde. Maintenant que le monde devient de plus en plus unipolaire, le rôle des ambassadeurs est de travailler pour attirer des investisseurs dans leur pays. Il doit analyser le mécanisme des Investissements directs étrangers (IDE), identifier les investisseurs potentiels, mener des campagnes de promotion, organiser des rencontres avec les différents gens d’affaires. Une fois cette étape franchie, les investisseurs qui viennent dans votre pays créent des emplois. Il faut enfin que la population voie le corps diplomatique comme une institution qui contribue au développement économique du pays.

Vous avez participé à plusieurs négociations internationales, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ces pourparlers ?

Le concept de négociation s’applique avec la même logique, les mêmes règles, qu’il s’agisse d’un milieu politique, économique, commercial ou militaire. Cela implique deux interlocuteurs disposés à discuter selon un point de vue divergent afin d’en arriver à une entente mutuellement avantageuse. Donc, les négociations requièrent un nombre important d’éléments qui sont, entre autres :

1. Le respect de l’autre partie : il faut négocier sans préjugés, sans jugement de valeur, sans complexe, sinon il y aura un blocage immédiat.

2. La capacité d’écoute : Quand on se parle, cela signifie qu’on a la capacité d’écouter ce que l’autre a à dire.

3. Créer un climat de confiance : Cela demande de l’ouverture d’esprit de part et d’autre. Quand on n’a pas confiance en son vis-à-vis, on ne va nulle part. Il faut être ouvert, transparent et se garder de mentir à son interlocuteur.

4. Maîtriser parfaitement son dossier : il faut connaître très bien son dossier qui, auparavant, a fait l’objet d’une préparation minutieuse.

Vous êtes de retour maintenant à Montréal, quel sera l’apport de votre carrière diplomatique par rapport à vos nouvelles fonctions ?

Montréal est une ville que j’aime beaucoup. C’est une ville bilingue avec des universités bilingues, une ville cosmopolite avec une très grande diversité culturelle. Montréal est un trait d’union entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Elle doit profiter de cette position stratégique pour se faire une meilleure place tant au niveau économique que social et culturel. Avec l’expérience que j’ai acquise en Afrique, en Amérique latine, aux USA, en France, j’espère pouvoir contribuer modestement à l’avancement de Montréal, du Québec et du Canada. Actuellement, je travaille dans l’un des meilleurs cabinets d’avocats au pays où l’on s’intéresse de plus en plus au volet international de la pratique du droit, notamment en Europe et aux États-Unis, mais aussi en Afrique, grâce à notre cabinet de Johannesburg. Ce qui est original, voire extraordinaire, c’est que le personnel qui travaille dans notre firme reflète, par sa diversité d’origine, l’image actuelle et très multiculturelle de la société canadienne.

Croyez-vous, à partir de votre expérience, qu’une paix mondiale est possible grâce à la mondialisation ou que nous sommes entrés dans un cycle d’instabilité chronique ?

La paix mondiale est possible si les dirigeants travaillent d’arrache-pied pour créer une société juste et équitable. L’absence d’une telle garantie ne peut que créer des conflits entre les nations. Avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale le siècle passé, on a cru que la paix régnerait pour très longtemps. Mais le 21ième siècle a commencé avec des guerres (Bosni, Kosovo, Afghanistan, Irak, etc.) et la paix mondiale est très gravement menacée par le terrorisme. Pour éviter ces guerres, qu’elles soient locales ou régionales, il faut nécessairement accorder aux Nations Unies un rôle important, indispensable pour le règlement des conflits. Il faut que l’ONU ait les moyens de gérer les crises internationales. Il faut renforcer l’ONU pour qu’elle puisse établir une paix mondiale véritable parce que le monde de demain ne sera stable qu’à ce prix. J’ajoute enfin que l’ONU doit aussi s’adapter à l’évolution du monde. De 1945 à 1989, nous avons vécu dans un monde bipolaire. Le Conseil de sécurité a été formé sur cette base avec les 5 membres permanents disposant du droit de veto. De 1989 à 2004, le monde est devenu unipolaire mais le Conseil de sécurité n’a pas changé. Ce sont toujours les mêmes cinq membres permanents qui prennent les décisions.

À l’avenir, il faudra que la structure décisionnelle du conseil de sécurité des Nations Unies reflète le monde multipolaire vers lequel nous nous dirigeons. Le Conseil doit nécessairement se reformer et mieux représenter non seulement les pays développés mais aussi les grands pays en voie de développement tels l’Inde, le Brésil et c’est à ce prix que chaque nation du monde se sentira concernée par les décisions prises par le Conseil de Sécurité.