PASCAL YOADIMNADJI PREMIER MINISTRE DU TCHAD
Monsieur Pascal Yoadimnadji savait qu’il relevait le plus grand défi de sa vie publique en acceptant le poste de Premier Ministre et de chef de gouvernement, en février dernier. Il vient d’ailleurs d’être reconduit dans ses fonctions par le président de la République, dont il a toute la confiance. Cet homme sincère, qui a à cœur les intérêts de ses concitoyens, essaie de faire du Tchad un pays moderne et prospère. Nous reproduisons ici l’entrevue qu’il nous a accordée en août 2005.
Magazine Diplomat Investissement: Monsieur le Premier ministre, vous venez d’être reconduit à votre poste. Quelles sont les priorités de votre nouveau gouvernement?
M. le Premier ministre: Le remaniement opéré le 7 août 2005 fait suite au référendum constitutionnel du 6 juin dernier. Bien que le OUI l’ait largement emporté, une lecture attentive des résultats de ce référendum fait apparaître un certain malaise dans l’opinion publique tchadienne, principalement dans les grands centres urbains. Son Excellence le Président Déby et moi-même avons tiré les leçons de cette consultation référendaire en opérant un remaniement en profondeur du gouvernement.
Il le fallait d’autant plus que l’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître qu’après environ sept moins d’exercice, le gouvernement du 3 février 2005 n’a pas pu répondre aux grandes attentes du peuple tchadien. Chacun se souvient que lors de la présentation du programme politique de ce gouvernement devant l’Assemblée nationale le 18 février 2005, nous nous sommes engagés à opérer une rupture totale avec les mauvaises habitudes héritées du passé, à parler peu et à poser surtout des actes concrets. Or, force est de constater que les priorités que nous avons mises en exergue n’ont pas été atteintes, du moins pour la plupart d’entre elles. Ces priorités, faut-il le rappeler, sont entre autres l’apurement des arriérés des salaires et des pensions, des bourses des étudiants, et des arriérés de la dette intérieure due aux fournisseurs de l'État ainsi que le combat contre l’insécurité, les conflits intercommunautaires, l’impunité, les violations des droits humains, la corruption et les détournements des deniers publics, etc. Sur tous ces points importants pour les Tchadiens, rien d’essentiel n’a été fait. Ainsi donc, toutes ces priorités restent d’une actualité brûlante pour le nouveau gouvernement qui se doit de les relever. À cela, il faut bien sûr ajouter la lutte contre la pauvreté qui passe par des investissements colossaux dans les domaines vitaux que sont la santé, l’éducation, le développement rural et les infrastructures. L’un de vos objectifs est justement la lutte contre la pauvreté.
Quelles sont les actions que vous entendez mener en matière économique?
La lutte contre la pauvreté est en effet un objectif majeur du gouvernement, appuyé par le programme politique de son Excellence Monsieur Le Président de la République Idriss Déby sur la base duquel le peuple tchadien lui a renouvelé sa confiance en 2001. La lutte contre la pauvreté passe par le rétablissement des grands équilibres macro - économiques pour assurer une croissance forte et soutenue, avec comme axe principal le développement du secteur rural qui occupe la majorité des Tchadiens et l’amélioration de la condition de la femme, qui représente plus de 50% de la population tchadienne. Cette ambition est tout à fait réalisable avec les revenus additionnels provenant de l’exploitation du pétrole, auxquels s’ajoutent le concours de tous les partenaires extérieurs. Tous ces investissements tendent à moderniser la production agricole et animale afin d’améliorer le niveau et la qualité de vie des agriculteurs et des éleveurs. Dans cette optique, le développement des infrastructures de base et de soutien à la croissance, la promotion d’un secteur privé compétitif et diversifié, le renforcement des capacités humaines et institutionnelles demeure les principales préoccupations du Gouvernement.
La décentralisation est l’un des défis principaux du gouvernement. Où en êtes-vous avec cette réforme majeure?
La décentralisation est l’un des axes principaux de l’action du gouvernement. Elle figure en bonne place dans la constitution adoptée par le peuple tchadien en 1996 et qui vient d’être révisée dans certaines de ces dispositions. Beaucoup de textes ont été votés par la Parlement pour assurer la mise en œuvre de cette décentralisation. Sur la base de ces textes, le gouvernement a procédé à un nouveau découpage administratif du territoire national. Ainsi, le territoire a été découpé en 18 régions dont la ville de N’Djaména, la capitale qui jouit d’un statut particulier, 50 départements et 201 sous-préfectures. Mais vous conviendrez avec moi que la décentralisation coûte cher et que le processus est complexe. Voilà pourquoi le gouvernement compte y aller étape par étape. Nous comptons, pour commencer, organiser les élections communales dans une cinquantaine de circonscriptions pour tester le bien-fondé de la stratégie arrêtée et l’étendre progressivement pour arriver au schéma directeur, à savoir des communautés rurales, des communes, des départements et des régions. Le Gouvernement tchadien entretient de bonnes relations avec les grandes institutions financières internationales.
Quels sont les secteurs dans lesquels les impacts sont les plus significatifs?
Le Gouvernement tchadien entretient de très bonnes relations avec les institutions financières internationales que sont le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, avec lesquels nous avons conclu un programme d’ajustement structurel appuyé par la Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (F. R. P. C.). Le programme a pour but d’appuyer les efforts de réformes structurelles du Gouvernement en vue de la stabilisation économique. Cette politique tend à restaurer les grands équilibres macro - économiques pour assurer une croissance forte et soutenue. Dans ce programme, un accent particulier est mis sur ce qu’il est convenu d’appeler les secteurs prioritaires, à savoir l'Éducation, la Santé, le Développement rural et les Infrastructures. Ces secteurs absorbent l’essentiel des revenus provenant de l’exploitation du pétrole, auxquels il faut ajouter les concours extérieurs des partenaires en développement du Tchad. À l’étranger, la perception que les gens ont du Tchad est en train de changer.
Quelle action pensez-vous entreprendre pour améliorer encore davantage l’image de votre pays à l’extérieur?
Notre pays revient de très loin. La guerre civile qui a eu cours au Tchad a eu des conséquences très graves sur les plans humain, économique, social et politique. Dieu merci, depuis le 1er décembre 1990, avec l’avènement au pouvoir de Son Excellence Monsieur Le Président de la République Idriss Déby, le paysage politique et sécuritaire a beaucoup changé. Depuis la Conférence nationale souveraine de 1993, on a assisté à la naissance du pluralisme démocratique. Cela s’est traduit par la création d’une multitude de partis politiques concourant à l’expression du suffrage universel, la libéralisation des médias, l’éclosion de la société civile avec la création de syndicats et d’associations des défenses des droits humains, la création et la mise en place d’associations de développement dans nos campagnes, etc. Sur le plan économique, nous avons engagé depuis1990 un certain nombre de réformes se traduisant par le désengagement de l'État des entreprises de production au profit du secteur privé. Au plan politique, rappelons que le Tchad en est à sa deuxième génération d’élections démocratiques (Présidentielles de 2001 et législatives de 2002), sans parler des élections communales qui se dérouleront d’ici la fin de 2005. Les élections de la troisième génération – présidentielles et législatives – auront lieu en 2006 comme prévu. Comme vous pouvez le constater, le pro c e s s u s d’ancrage de la démocratie et du pluralisme politique suit son cours, même si on note çà et là des imperfections. Cela est dans la nature des choses parce qu’une culture démocratique ne s’enracine pas du jour au lendemain. Il est néanmoins heureux de constater qu’aujourd’hui notre pays ne fait plus la une des journaux dans un sens négatif. L’effort entrepris par le gouvernement sera poursuivi pour amener notre pays à intégrer le concert des nations qui s'attellent au développement économique, social et culturel.
Pour terminer, Monsieur le Premier ministre, quelles sont les stratégies que vous préconisez pour attirer les investisseurs dans votre pays ?
La situation de chômage préoccupe énormément le gouvernement. Cela est dû au fait que le secteur privé est pratiquement inexistant. Le seul grand employeur est l'État tchadien, qui arrive difficilement à résorber le problème du chômage des jeunes. C’est vous dire combien il est important pour nous d’arrêter une stratégie qui permette aux investisseurs privés, tant nationaux qu’internationaux, d’intervenir dans des créneaux porteurs de développement économique et social pour notre pays. Dans ce sens, le gouvernement accorde des facilités aux investisseurs privés avec un code d’investissement très attractif. L’énergie est un secteur vital que le gouvernement entend pro m o u v o i r. D’où l’importance de réaliser le projet de construction d’une centrale électrique et d’une raffinerie dans le contexte du projet pétrolier de Sédigui. Réaliser ce projet permettra de réduire le coût de l’énergie, qui est actuellement l’une des plus chères au monde. Pour promouvoir les investissements privés, il est également important de désenclaver le pays tant au niveau national qu’international.
Biographie
MONSIEUR PASCAL YOADIMNADJI occupe le poste de Premier ministre du Tchad depuis février 2005. Il a auparavant été ministre des Mines, Énergie et Pétrole, ministre du Développement touristique, ministre de l’Environnement et de l’Eau et ministre de l’Agriculture. Il a aussi présidé le Conseil constitutionnel pendant cinq ans. À titre de président de la Commission électorale nationale indépendante, il avait aussi organisé les consultations référendaires et électorales de la période de transition. Son engagement politique s’est manifesté alors qu’il était encore étudiant.
Dès le début des années soixante-dix, on le retrouve en effet à la tête de la section d’Orléans de l’Association des étudiants et stagiaires en France, association dont il devient bien vite le secrétaire général à Pa ris. À son retour au Tchad, il sera vice-président du Mouvement révolutionnaire du peuple tchadien, puis secréta i re général de l’Alliance tchadienne pour la démocratie et le développement. Il prendra une part active à la conférence de réconciliation nationale du Tchad à Addis -Abeba et à celle de Brazzaville. Parmi les nombreux mandats qu’il a remplis, mentionnons celui de rapporteur général du Comité technique institutionnel chargé de la rédaction des projets de Constitution, du Code électoral et de la Charte des partis politiques.
Il fut aussi chef de la mission d’observation de l’OUA au référendum constitutionnel de Côte d’Ivoire en 2000 et président des missions d’observation des élections pour le compte de l’Agence intergouvernementale de la francophonie au Mali, au Bénin et à Djibouti. En parallèle à cette feuille de route remarquable, il a poursuivi une carrière dans la fonction publique tchadienne, principalement au sein du ministère des Finances. Une solide formation l’avait préparé à relever ces défis. Monsieur Yoadimnadji a d’abord obtenu une licence en droit public à l’université d ’ Orléans, en France. Il a décroché par la suite un diplôme d’études approfondies en administration publique et en droit public interne à l’université de Pa ris 1 (Panthéon-Sorbonne) ainsi qu’un diplôme de l’Institut international d’administration publique. Monsieur Yoadimnadji a été fait chevalier de l’Ordre national du Tchad et officier de l’Ordre du mérite civique du Tchad. Né à Beboto dans la région de Doba, il est marié et père d’un enfant.