La Turquie vote pour clore ou prolonger l’ère Erdogan

La Turquie vote pour clore ou prolonger l’ère Erdogan

Dimanche de vote historique et décisif en Turquie. Ce 28 mai, les électeurs turcs auront le choix de clore l'ère Erdogan ou de prolonger une nouvelle fois le bail de l'actuel président, au pouvoir depuis près de vingt ans. Recep Tayyip Erdogan apparaît favori de ce second tour inédit de l'élection présidentielle face au social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu.

Deux visions différentes du pays, de la société et de la gouvernance sont proposées aux 60 millions d'électeurs de Turquie (la diaspora a déjà voté) appelés aux urnes. La stabilité au risque de l'autocratie avec l'hyperprésident sortant, islamo-conservateur de 69 ans, ou le retour à une « démocratie apaisée » avec son adversaire, un ancien fonctionnaire de 74 ans. Les 49,5 % de voix que M. Erdogan, ancien maire d'Istanbul et musulman dévot, a recueillis au premier tour le 14 mai montrent le large soutien que lui accorde, malgré l'inflation, une majorité de conservateurs turcs. Y compris dans les zones dévastées par le séisme du 6 février, qui a fait au moins 50 000 morts et 3 millions de déplacés.

Face à lui, Kemal Kiliçdaroglu, le demokrat dede – le « papy démocrate » –, comme se présente cet économiste de formation aux cheveux blancs et fines lunettes, n'a pas su capitaliser sur la grave crise économique qui plombe les ménages turcs et la jeunesse. Président du CHP, le parti de Mustafa Kemal Atatürk, qui a fondé la République turque, il a promis le « retour du printemps » et du régime parlementaire, de l'indépendance de la justice et de la presse. « On en a marre de l'oppression du régime et de sa politique », clamait samedi à Ankara un enseignant de 39 ans, Ugur Barlas, qui votera pour l'opposant et « le changement ». Mais M. Kiliçdaroglu, avec 45 % de suffrages au premier tour, fait figure d'outsider : malgré le soutien réitéré du HDP prokurde, il est crédité dans les sondages de cinq points de retard sur le chef de l'État qui bénéficie déjà d'une majorité au Parlement issue des législatives du 14 mai.

Erdogan joue son va-tout

Atone après le premier tour, comme sidéré de n'avoir pas remporté la victoire que son camp pensait acquise, Kemal Kiliçdaroglu a resurgi après quatre jours, plus offensif et moins souriant que l'humble « M. Tout-le-Monde » de son début de campagne. Faute d'accès aux grands médias et surtout aux chaînes de télévision officielles, dédiées à la campagne du président sortant, il a bataillé sur Twitter quand ses partisans tentaient de remobiliser les électeurs en faisant du porte-à-porte dans les grandes villes. En jeu, les 8,3 millions d'inscrits qui ne se sont pas déplacés le 14 mai – malgré un taux de participation de 87 %.

Face à cet homme discret d'obédience alévie – une branche de l'islam jugée hérétique par les sunnites ultras, Recep Tayyip Erdogan a multiplié les meetings, s'appuyant sur les transformations qu'il a su apporter au pays depuis son accession au pouvoir comme Premier ministre en 2003, puis comme président depuis 2014. M. Erdogan, qui a déjà relevé le salaire minimum à trois reprises en un an, a multiplié les largesses pendant la campagne présidentielle, comme ces bourses gratuites promises in extremis aux étudiants en deuil après le séisme.

Dimanche est « une journée spéciale pour nous tous », a-t-il lancé ce samedi 27 mai : « Le temps des coups d'État et des juntes est révolu. » Pour l'un de ses derniers déplacements de campagne, il s'est rendu samedi sur la tombe de son modèle en politique, un ancien Premier ministre islamo-nationaliste, Adnan Menderes, déposé puis pendu par les militaires en 1961.

La date de ce second tour intervient cependant dix ans jour pour jour après le début des grandes manifestations de Gezi, qui, d'Istanbul, se sont répandues dans tout le pays. Première vague de contestation anti-Erdogan, elles avaient été sévèrement réprimées. À moins d'une surprise, les résultats sont attendus dès dimanche dans la soirée, et seront scrutés par les alliés de la Turquie, en particulier au sein de l'Otan.