Les Soudanais entament une nuit de protestations contre le putsch

Les Soudanais entament une nuit de protestations contre le putsch

Les manifestants poursuivaient lundi soir leurs protestations au Soudan, dénonçant un coup d’État militaire et l’arrestation de nombreux dirigeants, alors que trois personnes ont été tuées et 80 blessées par les militaires à Khartoum, selon un syndicat de médecins prodémocratie.

Six pays occidentaux – Royaume-Uni, Irlande, Norvège, États-Unis, Estonie, France – ont réclamé une réunion d’urgence à huis clos du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Soudan, qui devrait se tenir mardi après-midi, ont indiqué des diplomates.

Le général Abdel Fattah al-Burhane a annoncé lundi à la télévision soudanaise la dissolution des autorités de transition. Le premier ministre Abdallah Hamdok, son épouse et au moins sept responsables civils – ministres et membres civils du Conseil de souveraineté, soit la plus haute autorité de la transition – ont été arrêtés par les militaires, selon Amnistie internationale.

L’ONU a demandé la « libération immédiate » du premier ministre, les Occidentaux ont condamné. Moscou s’est distingué en jugeant que le coup d’État était « le résultat logique d’une politique ratée » accompagnée d’« une ingérence étrangère d’ampleur ».

Gouvernement dissous

Des images de manifestants déterminés à ne pas abandonner la transition démocratique entamée après la destitution en 2019 du dictateur Omar el-Béchir circulaient sur les réseaux sociaux lundi soir.

Des affrontements ont éclaté à Khartoum après l’allocution télévisée du général Burhane. Le ministère de l’Information a déclaré que des soldats avaient « tiré à balles réelles sur des manifestants opposés au coup d’État militaire devant le QG de l’armée ».

Trois manifestants ont été tués et quelque 80 blessés lorsque les militaires ont tiré, selon des sources médicales.

« Le peuple a choisi un État civil » et « Non un pouvoir militaire », scandaient les manifestants à Khartoum, où des barricades enflammées de pneus et de pierres coupaient des routes, essentiellement autour du QG de l’armée.

Dans ce pays pauvre d’Afrique de l’Est, quasiment toujours sous la férule des militaires et des islamistes depuis son indépendance il y a 65 ans, la transition battait de l’aile depuis longtemps.

En avril 2019, l’armée a mis fin à 30 ans de pouvoir d’Omar el-Béchir sous la pression d’une mobilisation de masse. En août de la même année, le Conseil de souveraineté, composé équitablement de civils et de militaires, a pris la tête du pays, promettant les premières élections libres fin 2023.

Mais lundi, le général Abdel Fattah al-Burhane est apparu à la télévision d’État, envahie plus tôt par les militaires, répétant qu’il souhaitait toujours « une transition vers un État civil et des élections libres en 2023 », même si tous les dirigeants ont été relevés de leurs fonctions.


Le gouvernement et le Conseil de souveraineté sont dissous, les préfets et ministres limogés et l’état d’urgence est déclaré dans tout le pays, a dit le général.

Suspension de l’aide américaine

En fin d’après-midi, un syndicat de médecins prodémocratie recensait les premières victimes des balles « de l’armée », alors que les institutions appelant à la « désobéissance civile » et la « grève générale » se multipliaient (ingénieurs, médecins, Banque centrale), faisant écho à l’appel du bureau de M. Hamdok à « manifester » pour « sauver » la « révolution » de 2019.

Car, explique à l’AFP Jonas Horner, chercheur à l’International Crisis Group, « c’est un moment existentiel pour les deux camps », civil et militaire. « Ce genre d’intervention […] réintroduit la dictature comme option », ajoute-t-il.

Appelant « les responsables militaires à libérer immédiatement tous les acteurs politiques, les protéger » et cesser d’utiliser « la violence », Washington, dont l’émissaire Jeffrey Feltman était la veille encore dans le bureau du premier ministre, a annoncé la suspension d’une aide financière de 700 millions de dollars au Soudan.

Craignant pour la vie du chef de gouvernement, le bureau de M. Hamdok a averti que les autorités militaires portaient « l’entière responsabilité » de son sort, dans un pays déjà secoué par un coup d’État déjoué en septembre.

Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire aux droits humains de l’ONU, a dit craindre un « désastre » si « le Soudan revenait en arrière […] après des décennies de dictature ».

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a condamné le « coup d’État militaire », exhortant au respect de la « charte constitutionnelle ».  

Ce texte signé par tous les acteurs anti-Béchir en 2019 établit la feuille de route de la transition, à laquelle le général Burhane a dit être toujours engagé une fois qu’un nouveau gouvernement et un nouveau Conseil de souveraineté auront été nommés.

L’Union européenne a appelé la communauté internationale « à remettre la transition soudanaise sur les rails » et enjoint au « rétablissement des télécommunications », largement coupées dans le pays lundi.

Face à ces critiques qui s’accumulent à l’étranger, le général Burhane a donné un gage de poids : il s’est engagé à respecter les accords internationaux signés par le Soudan, l’un des quatre États arabes à avoir récemment décidé de reconnaître Israël.

« On ne quittera pas la rue »

Dans les rues de Khartoum, de nombreux Soudanais fustigeaient l’armée.

« Nous refusons le régime militaire et sommes prêts à sacrifier nos vies pour la transition démocratique », a juré Haitham Mohamed, l’un d’eux, à l’AFP.

« On ne quittera pas la rue avant le retour du gouvernement civil », a affirmé Sawsan Bachir, sous des drapeaux soudanais.

La tension était montée dernièrement entre les deux camps. Le 16 octobre, des proarmées avaient planté leurs tentes devant le palais présidentiel, où siégeaient les autorités de transition.

En réponse, le 21 octobre, des procivils étaient descendus par dizaines de milliers dans les rues du pays pour, disaient-ils, « sauver » leur « révolution ».