Bob Woodward, le journaliste qui met en "rage" les présidents américains

Bob Woodward, le journaliste qui met en

Près de 50 ans après avoir fait éclater le scandale du Watergate, le journaliste d'investigation Bob Woodward continue de décrocher les Unes et de faire trembler la Maison Blanche, dont il se fait ouvrir les portes les plus secrètes.

Dernier coup d'éclat: dans son livre "Rage", à paraître le 15 septembre, l'écrivain-reporter de 77 ans révèle que Donald Trump lui a confié dès février être conscient de la gravité du nouveau coronavirus.

"J'ai toujours voulu minimiser" le danger, lui a également avoué en mars le président républicain, très critiqué pour sa gestion de la pandémie qui a fait plus de 190.000 morts aux Etats-Unis.

Comme en 1974, quand il a fait tomber le président Richard Nixon grâce à une source haut placée au FBI, surnommée "Gorge profonde", Bob Woodward a réussi à obtenir la confiance de son interlocuteur.

De décembre à juillet, il a interviewé le président à près de 20 reprises, enregistrant avec son aval leurs neuf heures d'échanges. Puis, minutieusement, il a rencontré son entourage, consulté les notes de réunion, récupéré des documents officiels.

C'est ainsi que tout jeune reporter au Washington Post, il avait enquêté avec son collègue Carl Bernstein sur le cambriolage d'un bureau du parti démocrate, dans l'immeuble du Watergate, et révélé les coups bas de la campagne de réélection du président Nixon.

Les deux hommes en ont tiré un livre, "Les hommes du président", dont l'adaptation au cinéma en 1976 avec Robert Redford et Dustin Hoffman leur a valu une notoriété bien au-delà des frontières américaines. 

- "N'importe quoi" -

Dans la réalité, Bob Woodward a, de son propre aveu, peu de similitudes avec l'énergique Redford. Il parle doucement, porte souvent une veste et une cravate informes et se dit "ennuyeux".

Avec la régularité d'un métronome, il publie tous les deux ans un ouvrage qui révèle les coulisses du pouvoir américain auquel il a un accès inégalé. 

Sa plume au style très factuel, parfois critiquée pour son attention à des détails secondaires, a disséqué le fonctionnement de la Cour suprême, de la CIA ou de la Banque centrale. Mais c'est pour relater les mandats des présidents qu'elle est la plus prolixe. 

Les derniers locataires de la Maison Blanche ont tous eu droit à une (George Bush), deux (Bill Clinton, Barack Obama) et même quatre (George W. Bush) chroniques de leur présidence. Avant "Rage", Donald Trump avait été dépeint dans "Fear", paru en 2018, comme un dirigeant paranoïaque et inculte.

"C'est du n'importe quoi", avait alors tonné l'impétueux président, qui n'avait à l'époque pas été interrogé par le journaliste.

Le sénateur Lindsey Graham, un des proches alliés du président, a reconnu qu'il avait ensuite conseillé à Donald Trump de parler à Bob Woodward, comme George W. Bush l'avait fait à plusieurs reprises lors de son mandat.

"Je lui ai dit, c'est un auteur présidentiel reconnu, ça vous donnera une occasion de donner votre version de l'Histoire, et le président a accepté", a-t-il dit à Daily Beast.

- "Une tragédie" -

En acceptant, Donald Trump n'avait peut-être pas mesuré la grande force de son interlocuteur: "sa capacité à faire s'épancher des adultes responsables", selon l'ancien patron de la CIA Robert Gates qui, en 2014, avait estimé que le journaliste aurait fait un très bon espion.

L'ancien présentateur de télé-réalité a sans doute senti dès août qu'il s'était trop ouvert. "Le livre de Bob Woodward sera BIDON comme d'habitude", avait-il tweeté de manière préventive. 

Jeudi, il a contre-attaqué: "Bob Woodward avait mes déclarations depuis des mois, s'il pensait qu'elles étaient tellement mauvaises et dangereuses pourquoi ne les a-t-il pas immédiatement fait connaître pour sauver des vies?"

Avant lui, plusieurs voix se sont élevées, notamment sur internet, pour reprocher au journaliste d'avoir fait passer la promotion de son livre avant la santé des Américains.

L'intéressé, fidèle à sa réputation de rigueur, s'est défendu en expliquant avoir voulu vérifier ce que le président savait exactement et à quelle date, avant de publier. 

Lui qui s'est toujours targué d'éviter de porter des jugements, pour se concentrer sur la narration des faits, a toutefois fait une entorse à cette règle. Les libertés du président avec la vérité sont "une tragédie", a-t-il estimé dans un entretien à paraître dimanche sur la chaîne CBS.