PROJET INGA III : Écartelé entre la pression de besoins et la crainte d’une autre saga de contrats.

PROJET INGA III : Écartelé entre la pression de besoins et la crainte d’une autre saga de contrats.

Les travaux de construction du gigantesque barrage hydroélectrique d’Inga III ne pourront plus être lancés à court terme comme escompté précédemment. D’une part, depuis le changement de garde à Kinshasa, de puissants groupes financiers extérieurs, autrefois rebutés de ce mégaprojet tiendraient à reprendre les positions perdues. D’autre part, les nouveaux acteurs internes ne s’engageraient pas dans la voie de mise en œuvre de la mouture déjà apprêtée. 

Lambert OPULA, PhD.  Coordinateur des projets à l’Agence de développement économique du Congo (ADEC); Professeur d’entrepreneuriat.
Lambert OPULA, PhD. Coordinateur des projets à l’Agence de développement économique du Congo (ADEC);Professeur d’entrepreneuriat.


Mise en contexte

Depuis 1997, l’aménagement du barrage d’Inga III hante les autorités et les milieux économiques de la RDC, un pays où le taux d’accès à l’électricité est parmi les plus bas d’Afrique, alors que le pays dispose du plus grand potentiel d’hydroélectricité du continent. Depuis lors, ruptures de négociation, renversements d’alliance, changements de schéma technique, remises en question de montages financiers et de la forme de gouvernance du projet, se sont alternés sans cesse, suscitant de doute sur la capacité de pilotage d’un tel mégaprojet au sein du gouvernement. En outre, selon l’Agence Écofin, il faudrait craindre que la guerre d’influence actuelle n’aliène au projet ses chances d’exploiter son important marché régional potentiel, ce qui conduirait à des risques de liquidité et donner lieu à un nième éléphant blanc1 en RDC.

      Il convient ainsi d’analyser les enjeux que mis de l’avant à travers les argumentaires des forces centrifuges en confrontation. Nous croyons ainsi faciliter l’identification de la variante du projet la plus conforme aux intérêts économiques du pays et de la région Afrique.

     Par conséquent, ce texte comporte les quatre parties ci-après :

Mise en contexte   

Les trois variantes du projet          

Analyse comparée des variantes  

- Le choix de la première variante du projet d’Inga III: 11 050 MW

- Le choix de la deuxième variante du projet d’Inga III: 4 800 MW

- Le choix de la troisième variante du projet d’Inga III: 22 000 MW

Et la conclusion       .

Nous avons déjà décrit en détail2, les variantes présentées par des promoteurs successifs ainsi que leurs partenaires, aussi bien étatiques (notamment la RSA, la Belgique, la France et la Corée du Sud); institutionnels (le NEPAD3, le CCPP4, et le Conseil mondial de l’énergie, le SAPP5, la Banque mondiale et la BAD); que corporatifs (SNC-Lavalin, Eskom, AECOM, EDF et Daewo-Posco de Corée.Image title

       Officiellement, c’est l'Agence pour le Développement et la Promotion du Projet Grand Inga, en sigle «ADPI-RDC») qui assure le pilotage du projet Inga III, depuis sa création par ordonnance présidentielle, le 13 octobre 2015. C’est aussi à ce titre qu’au terme d’un processus de sélection, deux soumissionnaires à son double appel d’offre, à la fois technique et financière gagnèrent le marché. Il s’agit du regroupement «Chine-Inga III» piloté par China Three Gorges Corporation (gestionnaire du gigantesque barrage des Trois-Gorges en Chine) et Pro-Inga conduit par Cobra Instalaciones y Servicios, filiale du groupe de BTP espagnol ACS. Un accord de développement exclusif du projet Inga III fut signé entre les trois parties6, le 16 octobre 2018. La partie congolaise, en sa qualité de maître d’ouvrage, demanda aux deux entités constitutives de la maitrise d’œuvre de fusionner leurs propositions techniques en vue de cofinancer7 et construire une centrale hydroélectrique ayant  une capacité de production8 de 11 050 MW, au coût de 14 milliards de dollars.

       En outre, subsidiairement à la décision de fusion des schémas techniques, les  développeurs s’engageaient à réaliser des études qui devraient adapter les contraintes de la variante de 11 050 MW à celles de la variante originale de 4800 MW. Une provision de 60 millions US$ a été constituée pour la réalisation d’un complément d’étude de faisabilité environnementale, parce que la version précédente, celle de 2018 prévoyait la construction d’une usine de basse chute à la place de celle de haute chute retenue dans l’étude héritée des deux firmes commanditaires de la BAD : AECOM et EDF. Quant à l’échéance de livraison, elle était fixée à six ans, soit en 2025. Par la suite, tirant profit de la lune de miel entre les autorités congolaises issues des élections de décembre 2019 et certaines chancelleries occidentales, des puissants intérêts éconduits auparavant, livrent un combat d’arrière-garde, pour se réintroduire dans ce mégaprojet. Ainsi, la BAD a-t-elle invité les autorités plutôt à réactiver la version de 4 800 MW dont elle avait financé l’étude de faisabilité. Le coût de cette ancienne version a été réévalué à 11 milliards de dollars.Image title

   Au même moment, le partenariat RDC-China-Inga III-Pro-Inga enregistrait une déconvenue en octobre 2019. Les deux firmes du consortium, Trois Gorges et ACS ne sont pas parvenues à s’accorder sur «le pourcentage des parts du capital9.» 

      Parallèlement à ces développements, d’autres évolutions sont intervenues dans le dossier du projet. Une firme chinoise, la State Power Investment Corporation (SPIC), a discuté récemment avec les autorités congolaises sur des initiatives dont les besoins en énergies s’élèveraient à  10 000 MW. La demande globale d’électricité pourrait donc être portée à 22 000 MW.

       Par ailleurs, l’homme d’affaires congolais, Yves Kabongo, patron de The Icon Group,  entreprend la construction d’une centrale de 900 MW10 d’hydroélectricité sur le fleuve, en aval de Kinshasa. Il compterait fournir entre 650 et 850 MW aux miniers dans les Katanga au moyen de ses propres lignes à haute tension qui suivront parallèlement le tracé de celles d’Inga-Kolwezi. La différence d’une moyenne de 250 MW pourrait servir à alimenter Kinshasa, conformément aux dispositions légales sur la responsabilité sociale.

     La production de ce projet complémentaire permettra de réduire à 2 000 MW le déficit enregistré par le miniers, au profit de la demande régionale bien plus importante. Le 12 février, un protocole d’accord de plus d’un milliard de dollars a lié la RDC et la firme américaine General Electric (GE) qui ambitionnerait d’occuper la place laissée par les Espagnoles de l’ACS dans le consortium avec Trois Gorges. La GE se serait engagé à construire, en trois ans, des infrastructures électriques d’une capacité de 1 000 MW, dans ce gigantesque complexe hydroélectrique.

       Selon le ministre en charge de l’énergie électrique, pour la partie congolaise, «la présence américaine dans le projet Inga III est la bienvenue et ne présente aucun obstacle pour les autres partenaires qui voudraient bien accompagner ce projet11» Ainsi, «l’accord de développement reste ouvert : Américains, Chinois, Indiens et Égyptiens pouvant être tous les bienvenus12». Par ailleurs, nos ambitions régionales pour la commercialisation de l’électricité en Afrique subissent une rude concurrence des Russes qui fait la promotion de la technologie nucléaire, notamment en Afrique du Sud.

       Toutefois, selon les informations provenant des sources proches de la direction de la GE aux États-Unis, cette compagnie n’a pas entrepris d’entrer dans le capital d’Inga III. Son projet concerne plutôt les travaux, étalés sur trois ans, de réhabilitation des centrales d’Inga I et II et d’autres investissements pourraient être affectés à la construction des infrastructures sanitaires. La confusion, entretenue ou non, est très grande, ce qui donne l’impression d’un manque de maitrise dans la conduite de ce projet.

Dans l’entretemps :

Selon les sources chinoises, le 27 février 2020, la firme Trois Gorges a saisi officiellement la partie congolaise de sa détermination à financer et construire la centrale d’Inga III, conformément à l’accord conclu13 avec la RDC;

L’Angola a introduit officiellement une demande d’électricité pour 5 000 MW;

L’Afrique du Sud a confirmé tout aussi officiellement sa demande de 5 000 MW, malgré l’offre concurrente des Russes qui voudraient y construire une centrale nucléaire;

Le Nigéria avait déjà introduit une requête pour l’importation14de 3 000 MW;

Les négociations devraient se poursuivre avec l’Égypte qui compte s’ériger en répartiteur de l’électricité d’Inga dans le Maghreb;

Enfin, le Kenya et d’autres pays de l’Afrique de l’Est expriment leur intention de négocier l’achat d'électricité.

Les trois variantes du projet

L’effet combiné de la contre-offensive des firmes extérieures, et des empoignades entre les groupes d’influence qui gravitent autour des centres de décision, à l’intérieur, a pour conséquence le retour à la nécessité  de choisir une variante parmi les trois ci-après :

1- La première, issue de l’accord de développement exclusif du projet Inga III signé en octobre 2018 entre les développeurs et l’ADPI qui vise à produire 11 050 MW au coût de réalisation de 14 milliards de dollars américains;

2- La deuxième, par la BAD, qui table sur une production de 4 800 MW au coût estimé de 11 milliards de dollars et, enfin,

3- La troisième, avec le concours de la State Power Investment Corporation (SPIC), qui est la plus ambitieuse, prévoit une capacité de 22 000 MW au coût de plus de 25 milliards de dollars.

       Par leurs déclarations, les négociateurs congolais soutiennent ouvertement la 2e variante, celle d’une capacité de production de 4 800 MW mise de l’avant par la BAD, en lieu et place de celle de 11 050  MW sur laquelle porte l’accord de développement du partenariat exclusif déjà signé avec Chine-Inga III.

      Le 07 février, le ministre des Ressources Hydrauliques et Électricité avait sollicité auprès du Conseil des ministres un mandat15 devant lui permettre de piloter directement ce mégaprojet, avec en priorité la constitution d’une cellule conjointe d’expertise RDC-BAD, la préparation d’un accord formel de développement du projet, d’une matrice détaillée des activités et d’un chronogramme de mise en œuvre des différentes actions16. Malheureusement, le Conseil de ministres n’a ni délibéré, ni mandaté ou renvoyé la question à une ultérieure réunion.Image title

         Les autorités de Kinshasa soutiendraient-elles mieux les intérêts socio-économiques du Congo et de l’Afrique,  sinon, prendrait- on le risque d’hypothéquer les chances de succès de cette importante infrastructure économique, enfin, répèterait- on ainsi les graves erreurs des années 1970, comme ce fus le cas avec la conception de la stratégie d’approvisionnement de l’ex-usine sidérurgique17 de Maluku?

Analyse comparée des variantes

La relance du processus de développement du projet Inga 3 a connu un net ralentissement dû notamment à l’attente d’une option claire de la RDC quant à la puissance à adopter (4 800, 11050 ou 22000 MW), voici les analyses sur ces variantes :

Le choix de la première variante du projet d’Inga III : 11 050 MW

La variante qui vise à produire 11 050 MW au moyen d’un schéma technique et financier de 14 milliards de dollars possède l’avantage de ne pas alourdir la dette extérieure de la RDC, par ce qu’elle devrait être financée en BOT et permettra de satisfaire, en moyen terme, la totalité des besoins en énergie du pays en plus d’une très bonne partie de la demande régionale. Cette variante réunit donc des atouts qui lui confèrent la meilleure position concurrentielle par rapport aux deux autres. 

 La réalisation de ce schéma aurait pour effet d’accroitre la capacité de production  de 4 800 MW à 11 050 MW dont 6 000 seront prévus pour les besoins internes. 3 000 mégawatts prévus pour la population congolaise et 3 000 MW pour les industries minières et de l'aluminium du pays ce qui permettrait d’exporter 5050 MW vers un marché régional, dont la demande déjà officiellement exprimée s’évalue à environ 13 000 MW sur un marché potentiel total de 17 500MW.

      Calculé sur une période de remboursement de 25 ans en partenariat de gestion, le poids d’un investissement de 14 milliards de dollars sur le mégawatt annuel d’électricité serait de 48 695,65$US.

Avec un coût, certes plus élevé de 3 milliards de dollars, le schéma de China-Inga III et Pro-Inga (14 G$US) produirait 6 700 MW pour d’électricité que ne le ferait l’investissement du schéma BM & BAD, soit 11 milliards de dollars pour 4 800MW. Inversement, le schéma du duo RDC-BAD produirait 6 250 MW de moins un coût d’investissement de trois milliards moins cher que celui du consortium China-Inga III.  

Par ailleurs, le schéma Chine-Inga III repose sur un financement innovant notamment le mode en BOT18qui donne lieu à la cogestion alors que le schéma RDC-BAD prône un montage financier par endettement, ce qui alourdirait la dette extérieure du pays.

       De même, les réserves relatives à l’évaporation et au dépôt des limons fertiles19, à l’instar de celle observée dans le lac Nasser, sur le Nil, lors de la construction du barrage d’Assouan en Égypte, ne déborderaient pas une zone de 18 km², à Inga en comparaison avec 5000 km² au lac Nasser. Aussi, le consortium China-Inga III et Pro-Inga a prévu une enveloppe de 60 millions de dollars en prévision d’une analyse d’impacts potentiels de la construction d’une usine de de haute chute au lieu de celle de basse chute20. Enfin, de l’avis des experts, rien ne préfigurerait une évolution dangereuse, similaire à la tragédie de la région d’Assouan.

      Cependant, selon nos sources en Chine, Trois Gorges affiche toujours sa détermination à remplir la totalité des engagements pris dans l’accord du 17 octobre 2018, même sans Pro-Inga (espagnols).  Cette variante de 11 050 MW présente des avantages en termes de revenus annuels estimé en 1,5 milliards de dollars, sans endettement extérieur. Et en termes de création d’emplois, environ 10 000 emplois directs et 20 000 indirects, soit un total de 30 0000 emplois. Aussi, la durée de construction annoncée est de 6 ans au lieu de 10 ans pour la livraison de la variante de 4 800 MW, d’autant plus que la version 11 050 MW dispose déjà des études et du financement.

Le choix de la deuxième variante du projet d’Inga III : 4 800 MW

«Lors d’un atelier organisé les 13 et 14 janvier derniers, à Abidjan, avec la Banque africaine de développement (BAD) et d’autres bailleurs de fonds, Kinshasa a adopté une nouvelle feuille de route pour le projet Inga III et a relancé le processus de recrutement d’un nouveau développeur21.

       Les participants se sont prononcés en faveur du retour à un ancien schéma approuvé en 2013 par la BAD, dont les études de faisabilité sont terminées, et prévoyant un barrage et une centrale hydroélectrique de 4 800 MW, sans tenir compte des couts d’interconnexions vers l’Afrique du sud.» «...L’heure est à la recherche de nouveaux partenaires, qui doit faire l’objet d’un nouvel appel d’offres ouvert, organisé avec des conseillers juridiques, techniques et financiers, agréés et financés par la Banque africaine de développement (BAD).» L’adoption de la variante du projet qui prévoit la construction d’une usine de 4 800 MW entrainerait de nombreuses contraintes, notamment : la nécessité de cerner l’impact des contraintes ci-après :

Un coût de réalisation très élevé (11 milliards de dollars US) au regard  de la capacité de production à mettre sur pieds, soit 4 800 MW. Cela implique, d’une part, l’adaptation du schéma technique initialement prévu pour une faible capacité de production à celle de 11050 MW que propose China-Inga III;

Le coût du mégawatt d’électricité de 11 milliards de dollars d’investissement, soit 91 666,67$/MW est ironiquement plus élevé que celui de l’investissement de 14 milliards, soit 48 695,65$US.

Une capacité de production qui suffirait juste à répondre à la demande interne et inversement, une déception amère des clients extérieurs potentiels qui y verraient un coup de freins aux perspectives d’intégration régionale datant de l’époque du NEPAD, ce qui induirait inévitablement la perte d’une partie importante de la demande du marché régional potentiel, à la suite de la concurrence agressive des technologies nucléaire et solaire;

L’impact d’un crédit de 11 milliards sur la dette étrangère et son incidence sur la balance financière de la RDC, un pays dont la croissance économique s’est ralentie depuis 2018.

Une action possible en justice des Chinois de Trois Gorges qui auront été relégués à la case départ, alors qu’ils détiennent un accord de partenariat exclusif signé avec l’ADPI, qui agissait au nom de la RDC ;

L’impact des critiques des milieux financiers de première importance, notamment la Banque mondiale qui a dénigré la politique d’endettement excessif des États africains  menée par la  BAD. Cette dernière, en effet, encouragerait la corruption parmi ses clients. L’Agence Bloomberg, de son côté, a estimé, comme les Chinois, que la variante réduite à 4.800 MW du projet Inga III ne serait pas viable économiquement22.

• Le manque de précision sur les mécanismes de mobilisation du capital requis de 11 milliards  s’ajoutant à l’exigence de réaliser une étude de faisabilité environnementale et au long processus de sélection des développeurs, il est évident que le délai de livraison de l’ouvrage serait plus grand dans le cas précis de cette variante.

Le manque de précisions importantes, notamment : la durée de réalisation des études de faisabilité pour passer de 4 8000 qu’ils comptent produire ensuite l’atteinte de l’objectif de 11500 MW; le temps requis pour la mobilisation des capitaux et enfin la durée que prendra la sélection des développeurs.

Des observateurs extérieurs comme le journaliste François Misser, auteur de la saga de la construction des barrages d’Inga, se demandent dans un article déjà cité du 21 janvier :

     « …comment le président Félix Tshisekedi expliquera-t-il à l’Angola et à l’Afrique du Sud qu’il doit décliner leurs manifestations d’intérêt pour acquérir l’électricité d’Inga III ? Si l’on ignore encore quelle sera la réaction des Chinois.» 

Image title En analysant les six objectifs poursuivis par l’atelier de Kinshasa  ( mars 2020) qui intervient après les deux autres qui se sont tenus successivement à Abidjan en Côte d’Ivoire ( en janvier 2020) et en tenant compte du délai supplémentaire de la BAD attendu à la fin septembre 2020! concernant le chronogramme des grandes étapes du développement du projet pour la variante de 4 800 MW, bien que la BAD se soit engagée à clarifier sa position au plus tard cette année sur l’accord de  développement exclusif et le mandat du conseiller stratégique qui accompagnera la RDC dans le développement du projet, les experts doutent que ce projet ne démarre pas avant 2026 si on tient compte de ce schéma de la variante 4 800 MW et de l’atteinte de 11 050 MW promit par la BAD.

Le choix de la troisième variante du projet d’Inga III : 22 000 MW

Cette option pose des problèmes énormes dès le départ. Combien de temps faudra-t-il pour réaliser des études techniques et financières requises pour un projet d’une telle envergure, ensuite pour passer à travers tous le processus de gestation d’un mégaprojet, alors que les besoins sont déjà critiques au pays comme sur le marché régional ? Enfin, quelles seront  les termes et conditions de financement? Quoi qu’il en soit, l’échéance initiale de livraison pourra dépasser 15 à 20 ans.

      Nous avons vu que la construction éventuelle d’un ensemble d’ouvrages pour la production de 22 000 MW aurait comme avantage de répondre, une fois terminée, à la totalité  des besoins identifiés, aussi bien en RDC que dans l’ensemble des pays de la région.

Néanmoins, cette option n’épargnerait pas le pays des contraintes ci-après :

La reprise de toutes les études de préfaisabilité et de faisabilité menées en prévision d’un ouvrage de 4 800MW;

Un coût de réalisation très élevé (plus de 25 milliards de dollars US) au regard de la capacité de production à mettre sur pieds, soit 4 800MW par RDC-BAD et 11 050MW par le consortium China Inga III;

La pression d’investissement d’un capital de 25 milliards de dollars sur chaque mégawatt annuel tomberait à 45 454,55$, donc inférieure à la pression générée par les usines de deux premières variantes, soit 91 666,67$/MW par la centrale de 11 milliards et 48 695,65$US par celle de 14 milliards.

Si la capacité de production à générer au moyen de cette variante est suffisante pour satisfaire la totalité de la demande nationale et régionale, elle comporte un risque sérieux de liquidité et de déclenchement des déséquilibres macroéconomiques, consécutivement au choc brutal de cette lourde dette sur les finances publiques de la RDC.

Une action possible en justice des chinois des Trois Gorges qui auront été relégués à la case départ, alors qu’ils avaient signé un accord de partenariat exclusif avec l’ADPI qui agissait au nom de la RDC ;

Enfin, les échéances requises pour la réalisation des études de faisabilité technique, financière et environnementale pourraient prolonger de 15 à 20 ans la livraison de la centrale électrique attendue, ce qui ne serait pas en adéquation avec le niveau de misère d’une population dont le territoire héberge le plus grand potentiel d’hydroélectricité du monde, mais dont le taux d’accès à l’électricité.

Conclusion

Un regard comparé des trois variantes en présence relatives à la construction d’Inga III permet de constater que la centrale de 11 050MW au coût de 14 milliards de dollars présente les meilleurs avantages efficacité-coût, une échéance de livraison plus courte et une disponibilité de financement et sans endettement. Si la variante de 22 000MW présente un indice de vraisemblable économie d’échelle, elle comporterait de sérieux risque de gestion (échéance 10 à 20 ans), tandis que  la variante de  4 800 MW, au coût de 11 milliards de dollars constitue la variante la moins économique pour la RDC et la moins intégratrice pour l’Afrique. De même, un climat d’anarchie prévaut autour du projet, par l’existence de trois centres de planification (le Ministère de l'Énergie et Ressources Hydrauliques, le Cabinet de la présidence de la République et l’ADPI), ce qui entretient la confusion au risque de saper la crédibilité des autorités congolaises auprès de leurs partenaires. 

Image title    À la suite du retrait de la firme espagnole ACS du projet Inga III, de la manifestation d’intérêt du groupe Trois Gorges à financer et construire seul le projet, des ambitions de la State Power Investment Corporation et de l’arrivée récente du  General Electric qui s’est invité dans le dossier d’Inga III ouvrent-elles la porte à une formule plus diversifiée? Sinon, les autorités congolaises actuelles vont-t-elles se ménager des entrées auprès des chancelleries occidentales ou privilégier la variante de 11050 MW du projet Inga III qui est plus conforme à l’intérêt national et à l’intégration régionale. Enfin, les Congolais qui attendent l’énergie d’Inga sur laquelle ont travaillé tous les gouvernements qui se sont succédé depuis celui de la colonie23, réclament de plus à plus ouvertement, une solution efficace, durable, pour un accès accru à l’électricité.

     L’idée d’un projet de 22 000 MW suggérée par la State Power Investment Corporation, est certainement dans le sens de l’histoire, néanmoins, étant donné que ce projet prendra du temps (entre 15 à 20 ans) cela pourrait faire l’objet d’un projet séparé, soit la 4e des 8 étapes prévues au site d’Inga, ce qui permettrait l’intégration économique de la RDC et de l’Afrique dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlec).

       Enfin, la dernière réaction du président Félix Tshisekedi au cours de la réunion du Conseil des ministres du 7 février 2020 traduirait certainement sa profonde déception devant l’imbroglio qui condamne le projet à la stagnation d’un projet hautement stratégique pour la relance du développement de la RDC, un projet intégrateur, classé prioritaire aussi bien par la Communauté de développement économique de l’Afrique australe, par l’Union africaine que pour la Commission des Nations-Unies pour le développement de l’Afrique.

         D’où l’importance que le Chef de l’État congolais clarifie la gouvernance de projet, en établissant une structure de  pilotage efficace ayant une vue globale de ses implications, passées, présentes et futures.                                                                     

(*) Lambert OPULA, PhD. 
Coordinateur des projets à l’Agence de développement économique du Congo (ADEC);
Professeur d’entrepreneuriat.

__________________

Notes :

1. Gwladys Johnson Akinocho, Agence Écofin, RDC : Tshisekedi envisage une conférence régionale autour du barrage d’Inga, https://www.agenceecofin.com/hydroelectricite/1603-74846-rdc-tshisekedi-envisage-une-conference-regionale-autour-du-barrage-d-inga

2. Lambert Copula, Grand Inga : la guerre des alternatives pour construire Inga III, Diplômât Investissement,  vendredi, 01 novembre 2019; https://www.diplomatinvestissement.com/fr/news/4281/grandinga--la-guerre-des-alternatives-pour-construire-inga-iii

Aussi, Lambert Opula, Inga III : les Occidentaux débranchent toute initiative chinoise, 10 octobre 2019, Business and finances.com, URL : http://business-et-finances.com/inga-iii-les-occidentaux-debranchent-toute-initiative-chinoise/

3. Le NEPAD : le Nouveau Partenariat pour le Développement de l' Afrique (NEPAD).

4. La CDAA : la Communauté de Développement de l'Afrique Australe.

5. Le SAPP : le Southern African Power Pool.

6. RFI, La RDC a signé un accord pour la construction du méga-barrage de Grand Inga, 17 octobre 2018, http://www.rfi.fr/fr/afrique/20181017-rdc-accord-construction-mega-barrage-grand-inga

7. RDC Finances, RDC : l'Espagnol ACS se retire du mégaprojet de barrage Inga III

 http://rdcfinances.com/energie/archives-petrole/1724-rdc-l-espagnol-acs-se-retire-du-m%C3%A9ga-projet-de-barrrage-inga-iii.html

8. BAD c’est le sigle de la Banque africaine de développement.

9. Un rapport du Groupe des experts du Congo (GEC, rattaché à l’université de New York) et de l’ONG belge Ressources matter, se référant à une lettre de la China Three Gorges International Corporation aux autorités congolaises en date du 20 septembre.

10.Au niveau du Pool Malebo,  aux rapides de Kinsuka, référ. : Joan Tilouine,  En RDC, l’homme d’affaires qui mise sur le fleuve Congo : Yves Kabongo veut lancer le plus grand projet hydroélectrique privé du pays : une usine d’une capacité de 900 MW pour fournir l’industrie minière, Le Monde, le 18 juin 2019.

11. Stanis Bujakera Tshiamala, Avec General Electric - les capitaux américains font leur grand retour en RDC, 17février 2020.

12. Op. Cit.

13. Référence : Sources gouvernementales chinoises.

14. Lambert Opula, Grand Inga : Pourquoi les milieux économiques et financiers devraient-ils investir dans le projet de barrage hydroélectrique d’Inga en RD Congo ? , Diplomat Investissement, mai-Juin 2016, pp. 40-41.

15. Ceci imprimerait un changement majeur en déchargeant ce mandat à l’ADPI, une agence spécialisée dépendant de la présidence, en faveur d’une instance sujette à des changements fréquent, un cabinet ministériel.

16. Compte-rendu du Conseil des ministres de la RDC, du 07 février 2020.

17. L’usine de la SOCIDER érigée dans la commune banlieusarde de Maluku à Kinshasa, fut équipée des laminoirs à froid pour traiter les mitrailles importées de l’Europe, au lieu des laminoirs à chaud pour traiter les minerais de fer que le pays aurait pu exploiter des gisements de Banalia dans les Ueles et de Luebo au Kasai Occidental. À cause des difficultés d’approvisionnement, jusqu’à sa fermeture la sidérurgie de Maluku ne parvint pas à atteindre 10% de sa capacité de production d’acier.

18.Build, Operate and Transfert.

19. Notamment le Comité de facilitation du projet Inga (CFI), proche de l’ONG américaine, la CORAP.

20. Op. cit.

21. Home / News and Events / African Development Bank Rebuts World Bank President’s comments on Africa’s debt profile, 13-Feb-2020.

22. François Misser, Inga : Fatshi remet les compteurs à zéro, les Espagnols abandonnent, République démocratique du Congo, 21 janvier 2020.

23. Le 13 novembre 1957, annonce du roi Baudouin sur la mise en valeur du site d’Inga : la construction de vastes barrages et de centrales hydroélectriques, Barrage d'Inga, 199 ans d’une longue et riche histoire,  Home» ÉCO / TECH», lundi, August 19, 2019, KongoTime, Source : http://www.afrique.kongotimes.info/eco_tech/10225-rdc-barrage-inga-longue-riche-histoire-grand-espoir-pour-congo-afrique-site.html. Le premier président du Congo entra en contact avec le gouvernement colonial, la Banque mondiale (B.I.R.D. d’alors) d’un contrat de vente d’énergie électrique aux aluminiers américains, dont la Kaiser Aluminium, le dossier s’enlisa jusqu’au congédiement de Joseph Kasavubu par l’armée congolaise.  Home» ÉCO / TECH», Monday, August 19, 2019, KongoTime, op.cit